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COLLECTIF EUROPEEN
D'EQUIPES DE PEDAGOGIE INSTITUTIONNELLE
auteur : G. Mangel
date : 12 octobre 2010

Fonctionnement de la classe


Au cours de ces trois premières années, nous mettons au point les premiers outils. Nous jetons en quelque sorte les bases de ce fonctionnement que je vais maintenant décrire. Je considère ces outils comme bien adaptés à la situation d'un collège dont le but serait d'intégrer un maximum d'élèves très différents les uns des autres. Avant que le vocable soit lancé, nous faisons fonctionner une organisation qui permet une pédagogie différenciée(21).

Dès l'instant où je choisis de développer dans la classe la vie coopérative, je dois résoudre de multiples problèmes. C'est avec l'aide des collègues, en appliquant moi-même le tâtonnement expérimental que je parviens à une organisation satisfaisante. La description qui suit est donc le fruit de plusieurs années de travail en équipe. Précisons également qu'il s'agit d'un tissu complexe, modifié sans cesse en fonction des nécessités et des circonstances : les éléments décrits sont des repères qui ont existé, souvent ensemble, mais dont chaque partie est d'abord la conséquence d'un manque, la résultante d'un ensemble de forces et de contraintes parmi lesquelles :

- l'impératif premier des savoirs à transmettre ;
- le questionnement des élèves ;
- les rapports avec la hiérarchie ;
- les liens avec les collègues ;
- les réactions des parents ;
- etc..

L'hypothèse de travail est la suivante : en mettant à la disposition des élèves un nombre aussi grand que possibles d'accès au savoir, donc des situations aussi variées que possible, chacun trouve sa place dans la classe. Par conséquent, l'échec et le refus scolaire diminuent. Pour travailler dans cette optique, les moyens employés nous ont été fournis par des recherches antérieures successivement appelées "travail indépendant", "travail autonome", "travail de groupe"... ainsi que par des travaux menés dans des établissements expérimentaux. Pour comprendre ce qui suit, le lecteur enseignant imaginera qu'il cesse de faire des cours magistraux et qu'il décide de faire travailler des élèves de 11 à 16 ans par équipes... la suite ?

UNE AVALANCHE DE QUESTIONS

- Comment les équipes sont-elles formées ?
- Quels sujets de travail sont traités et comment sont-ils choisis ?
- Ces sujets correspondent-ils au programme ?
- Comment faire coexister des équipes qui travaillent des sujets différents et leur apporter à toutes l'aide nécessaire ?
- Comment permettre à tous d'accéder au matériel et aux documents adéquats ?
- Comment aider chacun à choisir et à utiliser ce matériel et ces documents ?
- Comment éviter que les élèves ne produisent des textes stéréotypés, recopiés, le plus souvent maladroitement, dans des livres ?
- Comment donner simultanément à tous des méthodes de travail adaptées à ces thèmes variés ?
- Comment résoudre les problèmes relationnels qui apparaissent de manière plus criante dès que les élèves sont en équipes, alors que s'ils sont "en rangs" et font tous la même chose en même temps, ces problèmes sont masqués ?
- Comment contrôler leur travail, l'évaluer, redonner à chacun selon son effort personnel ce qui s'est traduit par une production collective ?_
- Comment assurer les séquences de cours collectif qui restent nécessaires ?
- Comment prendre en compte le désir, légitime lui aussi, de certains élèves de travailler seuls ?

Pour ne pas sombrer sous cette avalanche, il nous a fallu apprendre à "encaisser", à faire face à l'angoisse et à relativiser les effets souvent imaginaires du désordre apparent qui survient dès que la classe ne travaille plus selon le modèle connu. Il ne suffit pas d'être persuadé que dans l'écoute apparente et silencieuse d'une classe face au cours magistral, les élèves sont souvent distraits, ne comprennent pas forcément : leur silence forcé est moins gênant que la manifestation explicite de leur inactivité ou leurs comportements gênants dans la situation de travail autonome. Il a donc fallu lutter contre le premier mouvement que notre penchant et notre conditionnement appelait : le retour à l'ordre apparent.

LE CHOIX DES SUJETS

"M'sieur... qu'est-ce que je fais maintenant ?...M'sieur, est-ce qu'on peut faire un exposé sur l'éléphant ? ... M'sieur, on veut pas "faire" les roches !..."

Cent fois dans l'heure, la demande, les demandes contradictoires s'expriment dès qu'on laisse un peu de liberté de choix. Au niveau de la classe, il s'agit d'entendre des demandes très diverses : certains élèves réclament des sujets parce qu'ils préfèrent ne pas avoir à choisir, d'autres veulent que le professeur leur ordonne quelque chose pour avoir une "bonne" raison d'y résister, et d'autres encore refusent franchement d'être guidés. Dans la situation de travaux d'équipes, nous avons dû trouver un moyen de dépanner les indécis, tout en évitant autant que possible d'avoir à faire sans cesse les mêmes critiques (sujet trop compliqué, mal adapté au niveau de l'élève, hors programme, mal posé...).Ce moyen repose d'abord sur des listes de sujets affichés en classe : chacune de ces listes est adaptée au niveau et tirée des programmes officiels de sixième, cinquième, quatrième, troisième. Les élèves questionneurs sont d'abord renvoyés à l'affiche de leur classe. Ceci n'exclut pas qu'une équipe désireuse de travailler sur un sujet non prévu vienne me le soumettre et que j'accepte : tout se parle, on peut négocier. Ces listes me permettent aussi de donner d'office un sujet à traiter à ceux qui passent trop de temps (plus de 10 minutes) sans savoir quoi faire : en classe, l'oisiveté est source d'angoisses inutiles. Enfin, à côté de ces listes une autre affiche est apposée. Je la reproduis ci-après :

COMMENT CHOISIR UN SUJET :

- CHOISISSEZ LE SUJET QUI INTERESSE LES MEMBRES DE L'EQUIPE, EN TENANT COMPTE DE CE QUE VOUS AVEZ DEJA FAIT AUPARAVANT.

- REFLECHISSEZ EGALEMENT AU MODE D'EXPRESSION QUE VOUS SOUHAITEZ UTILISER (ALBUM, EXPOSE, AFFICHE, ENREGISTREMENT...)

- CERTAINS SUJETS SONT PLUS ADAPTES QUE D'AUTRES A UN DE CES MODES D'EXPRESSION.

- SI VOUS NE SAVEZ PAS QUE CHOISIR, DEMANDEZ AU PROFESSEUR.

GUIDES POUR LE TRAVAIL.

Le choix étant fait, les élèves sont souvent "en panne" pour des motifs très variés et, même avec un effort constant pour se rendre disponible à chacun, on ne peut être partout à la fois. Après bien des tâtonnements, en fonction des difficultés le plus couramment exprimées, j'en suis venu à afficher une série de guides techniques évitant les répétitions incessantes, répondant au titre général :

"COMMENT FAIRE" chacune sur un format 40 x 60 cm. Ces affiches ne sont pas toutes apposées en permanence. Certaines sont entreposées dans l'armoire de la classe et sorties quand leur utilité se fait sentir. J'en donne ici la liste :

COMMENT TRAVAILLER UN SUJET

COMMENT TRAVAILLER EN EQUIPE

LA BIOLOGIE C'EST...

COMMENT FAIRE UNE EXPERIENCE SCIENTIFIQUE

CONSEILS POUR LE DESSIN D'OBSERVATION EN BIOLOGIE

COMMENT FAIRE L'ETUDE D'UN ANIMAL

COMMENT FAIRE L'ETUDE D'UNE PLANTE

COMMENT FAIRE UN EXPOSE

COMMENT FAIRE UNE AFFICHE

COMMENT FAIRE UN ENREGISTREMENT

Pour donner une idée de leur contenu, je reproduis les deux premières en précisant que ces textes doivent (à mon avis) être écrits spécifiquement en fonction de la situation, de l'état d'esprit du prof, des élèves et du moment. J'ajoute que chaque affiche a été de nombreuses fois remaniée, adaptée, discutée et transposée par des collègues. Bien souvent, en composant le texte, je pensais à son effet sur tel ou tel élève, et plusieurs de ces affiches ont fait l'objet de discussion en Conseil avec l'ensemble d'une classe.

COMMENT TRAVAILLER UN SUJET ?

1. Le choisir (voir affiche "Comment choisir un sujet")

2. Remplir le contrat, le signer, le faire signer par le professeur.

3. Commencer par observer l'échantillon ou le document de départ et établir une fiche d'observation.

4. Se poser des questions, faire la liste écrite de ces questions, les ordonner.

5. Réunir les documents utiles au sujet et permettant de répondre aux questions.

6. Imaginer et réaliser au moins une expérience, en faire le compte rendu.

POUR TOUT TRAVAIL, UNE PARTIE ECRITE EST OBLIGATOIRE

COMMENT TRAVAILLER EN EQUIPE ?

1. Chacun cherche d'abord pour soi, écrit sur sa feuille à partir d'une question discutée

ensemble dans l'équipe.

2. Chacun lit sa feuille, toute l'équipe écoute et dit ce qu'il en pense.

3. Les idées sont rassemblées, mises en ordre, et toute l'équipe participe à la rédaction d'une synthèse.

4. Le responsable de l'équipe apporte la synthèse au professeur pour correction. TROIS ELEVES Qu BAVARDENT PENDANT QUE LE QUATRIEME ECRIT, CE N'EST PAS UN TRAVAIL D'EQUIPE !

Les conseils et les contraintes exprimés dans ces affiches ne sont pas toujours respectées, loin de là ! Mais leur présence constitue des repères dont chacun peut avoir besoin. Elles me soulagent considérablement dans mon travail, rendent à une partie des élèves qui en ont besoin autonomie et initiative en me libérant pour aider les autres.

ORGANISATION.

Les questions de choix de sujet et de méthode étant résolues, il apparaît utile de donner une idée de l'organisation générale de la classe. Pour faire fonctionner l'ensemble, les considérations de lieux, de temps, de travail, doivent être minutieusement envisagées.

L'espace : Dans un collège, la règle générale est d'attribuer aux enseignants des salles variables en fonction du taux d'occupation, des commodités les plus diverses, allant de la convenance personnelle au hasard bureaucratique. La saturation de l'établissement (fréquente) ne facilite pas l'attribution d'une salle fixe à un enseignant. C'est pourtant une condition nécessaire à la pratique de la Pédagogie Institutionnelle. Toutefois, si les élèves disposaient d'une salle fixe par classe, cela pourrait convenir également, mais ce n'est pas non plus le cas. Chacun se trouve donc ballotté de salle en salle. Dure conquête que celle d'un lieu fixe !!! mais la matière me favorise : en sciences naturelles, le nombre des salles spécialisées est limité à 3 et nous sommes 3 professeurs de sciences. Malgré cela, il a fallu insister et réclamer plusieurs fois après la répartition faite en début d'année. Les collègues désireux de travailler de la même façon et qui n'ont pas eu ma chance ont dû jongler avec des panneaux portables, des valises, et des meubles à roulettes : un vrai sport. Une vue panoramique de ma classe aurait donné à peu près ceci :

- Les murs : L'affichage toujours important dans une classe coopérative est subdivisé en 6 grandes rubriques :

* les lois, règles et décisions.

* les affiches techniques (comment faire...).

* les expositions et travaux d'élèves.

* le coin correspondance : reçue ou en voie de confection pour être envoyée.

* le panneau de préparation du conseil.

* le panneau d'évaluation : "Ce que je sais faire".

Chaque espace d'affichage est utilisé par plusieurs classes : cela oblige à tenir compte des autres, à être concis et à signer ce qu'on affiche.

-L'armoire :

Elle contient tous les manuels scolaires que j'ai pu rassembler, des livres, et des revues, des B.T. (22), des encyclopédies. Un fichier alphabétique comportant les mots-clés (noms d'animaux, de plantes, de sujets etc...) renvoie aux livres avec mentions des pages utiles. Ce fichier est conçu pour être manipulé par des enfants qui ne connaissent pas parfaitement l'ordre alphabétique et qui n'ont pas tous un sens du rangement très strict : les fiches sont reliées par des anneaux par lettre ou groupes de lettres. Ainsi, souplesse et sécurité : elle ne sont jamais embrouillées et peuvent être consultées facilement. Elles renvoient également aux fiches documentaires d'un classeur à dossiers suspendus dont je donne ci-après les caractéristiques.

- Le classeur à documents :

C'est une caisse en bois contenant des dossiers suspendus numérotés selon la méthode "Pour tout classer" éditée par la C.E.L. (Freinet), avec des aménagements personnels.

Le temps.

Dans un collège, le partage du temps en tranches horaires remonte à Napoléon. Ce "saussissonnage" ne favorise pas la mise en place , au sein d'un groupe, de coutumes, de règles, d'un tissu de relations éprouvées bref, de ce que nous nommons des institutions. Comment surmonter cette difficulté ? Avec l'équipe de collègues qui s'y est attelée, nous avons imaginé une solution de compromis dont le mérite principal est de fonctionner. Compromis, car l'idéal serait de pouvoir assouplir ce carcan, d'allonger les séquences qui demandent du temps. C'est parfois possible, en particulier grâce aux regroupements entre deux ou même trois heures, soit de la même matière, soit de plusieurs matières qui se succèdent dans l'emploi du temps. Cependant, dans le cas, fréquent, où l'on ne dispose que d'une seule séquence d'une heure, elle peut être subdivisée : voici l'affiche qui rappelle à chacun comment se déroule l'heure de travail lorsqu'elle est isolée :

NOTRE HEURE DE TRAVAIL

5 MN : Appel. Organisation générale. On écoute ceux qui ont quelque chose à dire à toute la classe : directives de travail, annonce d'exposés, demande d'un CONSEIL en fin d'heure.

5 MN :Organisation par équipe : aller chercher contrats, fiches et matériel, puis sous la direction du responsable d'équipe, répartir les tâches : QUI, QUOI, QUAND, COMMENT, OU.

30 MN :Travaux :

chacun fait ce qui a été décidé pendant les temps d'organisation. Il est possible de :

- travailler en équipe,

- travailler seul,

- présenter une production à la classe,

- s'occuper de son domaine de responsabilité (élevage, journal, affiches, etc...)

2 MN : Rangements.

10 MN : Bilan d'équipe : remplir les fiches d'activité .

5 MN : Bilan général : le tour de parole des responsables d'équipe. SI QUELQU'UN L'A DEMANDE EN DEBUT D'HEURE, LES 15 DERNIERES MINUTES SONT CONSACREES AU CONSEIL.

Pour qu'un tel emploi du temps fonctionne, chacun doit savoir ce qu'il a à faire, en particulier, il est nécessaire de pouvoir compter sur les responsables de tous niveaux. Un apprentissage progressif de tous les "outils" de la classe est organisé en début d'année, avec l'aide précieuse de ceux qui les connaissent déjà comme les redoublants qui trouvent ici à se valoriser utilement ou les élèves ayant pratiqué ce travail avec moi dans la classe précédente.

Une tradition s'établit et se transmet ainsi peu à peu : c'est pour cette raison que le terme de pédagogie traditionnelle me semble le plus souvent mal employé, car il désigne à tort, et péjorativement un ensemble de pratiques sans unité, individualistes et étrangères à la transmission qui existe justement dans les pédagogies actives.

Mes interventions devant l'ensemble de la classe sont surtout situées en début d'heure, moment au cours duquel se décide ce qui concerne tout le monde, et à la fin : au cours du tour de parole des responsables d'équipes, je note rapidement où en est chacun pour pouvoir intervenir efficacement au début de la séance suivante. Pendant l'heure, je me tiens à la disposition de ceux qui sont en panne, j'aide, je corrige, je conseille... Si le Conseil a été demandé, je veille à son bon déroulement .

Le travail.

Les rouages de la classe ainsi décrite se mettent peu à peu en place. Les travaux par équipes en sont la pièce maîtresse. Cependant, le cours magistral est également présent : il peut être décidé en Conseil, sur ma proposition ou à la demande d'élèves. Il peut également être dispensé à une partie de la classe pendant que d'autres travaillent en équipes. Cette organisation du temps donne à chaque élève la possibilité de travailler à son rythme, de se sentir engagé dans une entreprise commune, de fournir le meilleur effort sans se trouver bloqué ou inhibé. Les causes de ces blocages, quand ils se manifestent, sont d'ailleurs si diverses qu'il n'existe pas de remède simple. Je dois pouvoir répondre aussi bien à celui qui a besoin d'être guidé étroitement, qu'à celui qui veut travailler seul, ou à ceux qui sont plus à l'aise dans la coopération. Deux aspects de l'organisation du travail permettent de décrire nos réponses aux impératifs ainsi posés :

- les contrats, et fiches d'activités
- les responsabilités attribuées aux élèves.


- Contrat et fiches d'activités :

Outils de travail élaborés et transformés au cours des années, ces documents sont le fruit de la pratique du travail de toute l'équipe, et ce dans les différentes disciplines que nous enseignons : sciences naturelles, français, histoire et géographie, anglais. Les travaux au Centre de Documentation et d'Information (C.D.I.) de l'établissement avec la documentaliste ont également contribué à leur mise au point. Une équipe d'élèves qui se constitue va chercher un contrat, le remplit, le signe et le fait signer par le professeur. Voici une reproduction de ce document qui est normalement en format 21x29 :

CONTRAT Signer et faire signer par le professeur avant chaque production

QUI Noms des élèves de l'équipe Responsabilité dans l'équipe QUOI Types de productions réalisables

  • Dossier
  • Exposé
  • Enregistrement
  • Lettre
  • Article
  • Affiche

POUR QUI Personnes à qui la production est destinée

  • Classe
  • Correspondants
  • Parents
  • Tout le collège
  • Le journal
  • L'équipe seule

Matériel et documents utilisés :

Evaluation :

Nous nous engageons à terminer ce travail pour le : , soit en séances.

Date :

Signatures de tous les élèves de l'équipe :

Je m'engage à aider les élèves de cette équipe en leur fournissant tout renseignement qu'ils ne pourraient trouver par eux-mêmes et en leur donnant des conseils de méthode.

Date :

Signature du professeur :

Les rubriques de ce document parlent d'elles-mêmes. Je précise toutefois quelques points : il n'est pas obligatoire de travailler à plusieurs pour passer contrat. Un élève peut l'utiliser seul. S'il s'agit d'une équipe, le nombre en est limité à 5. Ceci évite les groupes surchargés dont certains membres utilisent la structure pour dissimuler leur inaction. Dans une équipe, il y a un responsable général (responsable du travail), un responsable des documents et du matériel, et parfois un responsable de la discipline. Le fait que tout le monde signe un contrat permet de travailler peu à peu la notion d'engagement personnel. La signature du professeur est également importante : je m'engage à quelque chose de précis. Ainsi, les questions et demandes qui portent sur des domaines accessibles sans mon aide peuvent faire l'objet d'un refus motivé : "regarde telle affiche...adresse-toi à tel responsable..."

Les listes de réalisations possibles donnent une idée de la variété des activités pratiquées en classe. Le savoir ne s'exprime pas seulement dans la forme classique de l'exposé dialectique, écrit ou oral. Les médiations de l'affichage, de l'enregistrement , de la correspondance, du journal jouent leur rôle de "pièges à désir" : c'est ainsi que F. OURY désigne les multiples lieux et activités de la classe susceptibles de capter l'intérêt et de mobiliser la passion tout en permettant de susciter des identifications positives et d'une manière générale de remanier toutes les identifications(23). Pour certains élèves, ces productions trouvent un sens que le cours magistral a perdu. Enfin, le fait de faire inscrire le destinataire du travail permet aux enfants de déposer là cette embarrassante question de "pour qui je travaille" tout en les aidant à en dépasser le côté dérisoire. Souvent en effet le refus de travail est accroché au prétexte de "pour qui" on ne veut ou on ne peut travailler.

L'aspect contraignant peut être examiné sous divers angles : c'est un contrat. Il doit donc être respecté. Mais il peut aussi être révisé par les contractants. Un délai non respecté oblige à rediscuter, autorise à demander des comptes. Les remarques à propos de l'oisiveté, de la lenteur, du temps perdu sont appuyées sur autre chose que la seule volonté de l'enseignant et la nécessité abstraite de travailler.

L'élève ayant choisi un sujet, un mode d'expression et signé un contrat se trouve, seul ou en groupe, au seuil de son processus de production. Dans les deux cas, il va devoir utiliser un autre document qui l'aide à se repérer dans le temps et à planifier ses activités. Ce document me sert également en tant que professeur à évaluer le travail de chacun. Il s'agit d'une fiche individuelle d'activité :

Je remplis cette fiche à la fin de chaque séance. Le travail terminé, je la joins au contrat Mes activités

prenom, nom, classe, date

aujourd'hui j'ai fait :

la prochaine fois je ferai

Evaluation : Ce que je pense de mon travail :
Ce que l'équipe pense de mon travail :
avis et note du professeur :

Si nous sommes arrivés à la nécessité de faire remplir à chaque élève une telle fiche, c'est à la fois pour lui apporter l'aide d'un repère dans le temps et pour répondre aux protestations de ceux qui trouvent injuste de recevoir une note collective. En effet, dans une équipe, il est bien rare que tous apportent la même contribution à la réussite commune. Un travail terminé est donc sanctionné par une double note : l'une reflétant le résultat global est attribuée à tous les membres de l'équipe, l'autre reflétant la participation personnelle de chacun à cette production est donnée en fonction du contenu de cette fiche.

-Les responsabilités remplies par les élèves :

En début d'année, les tâches multiples qu'entraînent les travaux de groupes apparaissent rapidement. L'impossibilité pour le professeur de les accomplir toutes éclate à l'évidence : nul n'a le don d'ubiquité, et très vite, le choix s'impose : ou l'on revient à l'intervention magistrale, ou les divers postes de travail sont définis et partagés. D'autre part, la responsabilisation des élèves est un objectif que nous nous sommes assigné. Trop souvent, l'image qui est donnée de cette responsabilisation des élèves renvoie à ce qui était appelé "corvées" ou moins péjorativement "services". Nous avons eu dès le début de nos travaux le souci de procéder différemment. Il s'agissait de donner à chaque élève une véritable responsabilité : cela ne peut se dissocier d'un certain pouvoir. Et l'exercice d'un pouvoir ne va pas sans risques, tant pour celui qui l'exerce que pour ceux qui en sont tributaires. Les dangers de cumul, d'abus, de détournement ne sont jamais absents. Dans la classe, il existe un nombre très important de responsabilités. Chacune est définie aussi précisément que possible au cours des Conseils qui attribuent également ces responsabilités à tel ou tel candidat.

Une règle de base pour le bon fonctionnement de la classe : ne pas créer de responsabilités tant que le besoin ne s'en fait pas sentir fortement. Elles apparaissent donc progressivement, sont pourvues au fur et à mesure, et selon des critères qui ont souvent changé. La compétence de l'élève qui postule doit être vérifiée : à cet égard, l'avis du professeur est souvent déterminant, mais il sera exprimé en Conseil. J'ai dû fréquemment résister à la tentation de me substituer au responsable défaillant pour que ça marche mieux et plus vite : lorsque j'y ai cédé, les effets bénéfiques immédiats ont été rapidement annulés par le fait que les responsables ont cessé d'investir dans leur travail, se sont désintéressés davantage encore de ce qui était devenu un gadget. La patience et le bon réflexe consistent à dire les manques dès qu'ils apparaissent, et savoir attendre que le responsable les comble ou que quelqu'un d'autre se propose pour le remplacer. Les responsabilités sont de deux types : les unes concernent toute la classe, les autres concernent seulement une équipe de travail.

* Responsabilités concernant l'ensemble de la classe :

(Je cite ici celles qui ont été en vigueur pendant la dernière année de fonctionnement de la classe). APPEL : faire l'appel, remplir et faire signer la feuille d'absence . CAHIER DE TEXTE : faire remplir et faire signer le cahier de texte de la classe par le professeur. FEU VERT : Vérifier que tout est rangé et donner le feu vert pour la sortie en fin d'heure. TABLEAU : nettoyer le tableau, apporter les craies, laver l'éponge. LUMIERES : Allumer et éteindre les lampes. RIDEAUX : ouvrir, fermer selon nécessité (projections...) ELEVAGES : s'occuper des animaux en classe. CULTURES : s'occuper des plantes. ARMOIRE : ouvrir l'armoire, distribuer les documents, les ranger en fin d'heure. MAGNETOPHONE : le prêter à la demande, montrer son fonctionnement. PROJECTEUR DIAPOS : aller le chercher, l'installer, distribuer les diapos demandées, savoir s'en servir. PROJECTEUR FILMS : idem, mais pour les films 8 et super 8 mm LABORATOIRE : aller chercher le matériel demandé, le ranger. FEUTRES CISEAUX SCOTCH : distribuer à la demande, garder la boîte qui le contient. HEURE : annoncer à haute voix les heures utiles (ex : rangement) . CONTRATS ET FICHES D'ACTIVITES : distribuer ces documents en début d'heure et les ranger à la fin. REMPLACANT : remplace "au pied levé" tout responsable absent. PUNITIONS : note les punis, vérifie que les sanctions sont exécutées.

Comme elles concernent tout le monde, ces responsabilités attribuées en Conseil font l'objet de comptes rendus à la classe. Parfois, elles sont partagées entre deux élèves. Certaines, très demandées, sont tournantes.

* Responsabilités concernant une équipe de travail :

Pour la durée d'un contrat (en général 4 à 5 séances), chaque équipe s'organise autour d'un responsable du travail qui dirige et coordonne, un responsable documents qui rassemble les documents nécessaires et les range, un secrétaire qui prend les notes, parfois un responsable discipline qui veille à l'ordre. Ces responsabilités changent à chaque nouveau contrat, même si c'est la même équipe qui continue de fonctionner ensemble : le même élève n'occupe pas le même poste deux fois de suite. Détail important : le responsable du travail encore appelé responsable d'équipe est celui qui vient faire signer le contrat au professeur et qui répond en fin d'heure lorsque nous faisons le bilan général du travail.

LA PAROLE.

Dans ce tissu, ce réseau complexe, les lieux de parole sont multiples :
En début d'heure : on écoute ceux qui ont quelque chose à dire à tous. Ce peut être l'information donnée à la classe par un élève au sujet de la présentation d'un exposé, la recommandation d'un responsable concernant son domaine d'activité, une demande d'aide...
En fin d'heure : le bilan général permet d'entendre les responsables d'équipes. Le ton, l'ambiance ont aussi leur importance, et chacun entend parler de ce qu'il a fait. Pendant l'heure : il est permis de parler à condition que cela ne gêne pas le travail. Ce qui circule est un peu le "sang" des relations humaines, papotages parfois, drainages et aussi informations utiles au travail : comme dans un atelier.
Un travail terminé est présenté à tous : chacun peut poser des questions et donner son avis. Certains travaux sont plus spécifiquement faits pour être exposés, d'autres sont simplement présentés rapidement et ensuite affichés ou entreposés pour être lus par ceux que cela intéresse.
LE CONSEIL enfin, clé de voûte de l'édifice, est le lieu où la parole devient véritablement instituante. C'est le lieu du pouvoir. C'est là que vont se proposer, se discuter, se décider les petites et les grandes choses, les projets, les responsabilités, les règles de vie. C'est enfin là qu'aboutissent les problèmes insolubles ailleurs, les conflits, les malaises...Ce lieu central, sorte de "tour de contrôle" de la classe doit assurer les grandes fonctions de la vie d'un groupe coopératif :
- L'accueil : Chacun peut y prendre part, sans distinction de niveau et avec voix au chapitre. La parole de tous est assurée d'y être entendue, reprise et suivie d'effet... à certaines conditions toutefois.
- La distinction : "Qui parle ici ?" Les membres du Conseil, chacun dans la classe y a une place réservée, mais doit suffisamment y tenir pour qu'elle ne devienne pas une place fantôme. Pas question que d'autres décident pour nous, pas plus que ça se décide tout seul. Et il arrive aussi que certains s'excluent momentanément en ne respectant pas les règles communes par exemple. Il est également important que l'on sache de quelle place parle un orateur : s'exprime-t-il en son nom personnel où en tant que titulaire d'une responsabilité ? Chacun peut y devenir littéralement distingué, la courtoisie y a cours, même si la langue est parfois crue.
- La cotisation : Le terme est à prendre au sens le plus large d'apport par chacun de sa quote-part à la coopération. L'apport peut être financier, car il y a le plus souvent une caisse de coopérative, mais ce peut être aussi la part prise aux tâches et responsabilités dûment connues et reconnues comme telles.
- Les comptes : Les comptes financiers sont examinés, on y rend des comptes et on y tient des comptes au sujet de tout ce qui nécessite de faire rentrer de l'argent, d'en dépenser ou d'en répartir... Mais les comptes sont également demandés aux responsables. Si les documents n'ont pas été distribués correctement, l'élève qui s'occupe de l'armoire sera critiqué, voire remplacé. Le maître doit aussi répondre de ses actes, du moins de ceux qui relèvent des responsabilités qu'il assume devant ce Conseil. Enfin on y règle des comptes avec plus ou moins de virulence sous le contrôle des lois de la classe, du président et du professeur. La nécessité d'écrire et de signer oblige à différer. Par exemple, une critique affichée ne pourra se traiter en conseil que la fois suivante : souvent, l'auteur vient lui-même la retirer du panneau, la nuit lui ayant comme on dit "porté conseil"... .
- Les décisions : Pour accéder au véritable pouvoir, pour que le passage soit assuré entre les habituels "il n'y a qu'à" ... "il faut"... et les actes, le désir actif de tous est nécessaire. Mais il est également indispensable de passer par certaines formes qui rendent opérationnelles les intentions prononcées : les formules adéquates doivent être employées. Nous y reviendrons en énonçant les maîtres-mots. Ici, les propositions sont examinées et le président tranche avec l'aide de tous. Parfois il fait voter, mais ce n'est pas le seul moyen de parvenir à la décision. Généralement, il cherche d'abord à s'assurer que personne n'est lésé par la proposition. Il essaie, avant de faire voter, de construire un consensus. Le mot est à la mode. C'est sans arrière pensée que nous l'utilisons depuis des dizaines d'années pour désigner la situation dans laquelle se trouve un groupe pour accepter unanimement qu'une décision devienne opérationnelle, même si certains des participants ne font que "consentir" sans approuver : la formule est souvent "Quelqu'un est-il gêné si... ?". Notons que les décisions ne sont prises que si des propositions sont effectivement faites. C'est important, car bien des points de l'ordre du jour sont ponctués par "passage au point suivant" sans être suivis d'autre effet que d'avoir été entendu, ce qui est déjà important : c'est le cas des critiques que leurs auteurs ne font pas suivre de propositions.
- L'inscription : Qu'il s'agisse de noter les décisions, ou de garder en mémoire ce qui aidera à la continuité des projets, de mettre en bonne et due forme une loi de la classe, l'importance de l'écrit n'est plus à démontrer. Il se trouve toujours, en début d'année quelqu'un qui se réfugie derrière les mots irréfutables : "ce n'est écrit nulle part que je devais le faire"... Si le manquement est douloureux pour beaucoup, la classe apprend à ses dépens la nécessité d'inscrire clairement, complètement et au vu de tous les choses importantes. Concrètement, dans la classe, si quelqu'un dit au début de l'heure : "Je demande le Conseil", il est automatiquement réservé un quart d'heure à la fin de la séance. Ce peut être le professeur qui fait cette demande. Il arrive également qu'en début d'année, lorsqu'il y a beaucoup de décisions importantes à prendre, le Conseil soit tenu dès le début de l'heure et dure davantage de temps. En cours d'année, lorsque la classe fonctionne, que les institutions et les responsabilités sont bien en place, le Conseil se tient environ une fois par mois. Préparé à partir du panneau d'affichage, son ordre du jour est limité à ce qui est inscrit à l'avance sur ce panneau.
Pour marquer l'importance et assurer l'efficacité de cette institution maîtresse de la classe, une certaine solennité règne grâce à un rituel et à l'utilisation des "Maîtres-Mots" :

- "Le Conseil commence"
- "Qui a quelque chose à dire sur..."
- "Propositions ?"
- "Qui est pour ?"
- "Qui est contre ?"
- "La décision est prise"
- "Le Conseil est fini"

Le président, élu ou désigné la fois précédente va, un peu avant l'heure prévue, recueillir sur le panneau les textes concernant la classe et inscrire l'ordre du jour au tableau. Le secrétaire le recopie dans le cahier. Les décisions prises sont également inscrites de la même façon. Lorsque retentit le maître-mot de la fin, il arrive que des décisions aient été prises pour le bien de tous, que des élèves qui se trouvaient en difficulté obtiennent des réponses ou trouvent un ancrage qui leur permettra d'évoluer.




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