Mes débuts dans l'enseignement datent de 1969. J'étais frais émoulu de cette université en pleine crise et fortement marqué par le mouvement de 1968 dans lequel j'avais joué un petit rôle : secrétaire général de la section UNEF (Union Nationale des Etudiants de France) de la faculté de sciences, j'ai fait partie de la première délégation d'étudiants dans l'Assemblée de Faculté. La position des délégués était loin d'être "révolutionnaire" puisqu'ils demandaient simplement une participation aux décisions les concernant. Dans l'ensemble, cependant, le mouvement de mai 68 m'a orienté vers la recherche d'un mode d'exercice de l'autorité qui s'apparente à ce que j'appelais l'autogestion. Ce terme est ambigu mais il éclaire cependant l'aspect militant et contestataire de l'histoire et je n'en ai pas trouvé d'équivalent pour désigner ce désir actif de faire participer chacun à toutes les décisions le concernant.
J'enseigne les sciences naturelles. Mes deux premières années de travail se passent plutôt bien dans un lycée algérien à Constantine. J'ai des élèves de seconde, première, terminale. Cours dialogués, élèves motivés et suffisamment âgés pour comprendre la nécessité du travail, même si j'ai avec eux certains conflits au sujet de l'autonomie que je souhaite leur voir prendre et qu'il préfèrent réduite.
Rentré en France, j'enseigne en premier cycle, d'abord dans un lycée puis dans un CES vosgien. Au cours de ces deux années, je me pose beaucoup de questions à propos du refus de certains élèves d'apprendre, d'obéir, d'être là... Je fais plusieurs tentatives pour introduire dans ma pratique des techniques susceptibles d'accroître la participation personnelle de chaque enfant à son apprentissage. Il s'agit de rendre le cours plus vivant mais aussi de répondre à cette difficulté qui dépasse le cadre de la matière : le refus scolaire dont presque tout le monde s'accorde à dire que c'est une des caractéristiques du collège.
C'est également au cours de ces débuts en collège que je fais connaissance avec la Pédagogie Institutionnelle. J'entame un cursus de formation avec un premier stage en septembre 1973. J'y apporte le récit d'un échec d'organisation dans une classe de quatrième qui m'en a fait voir de toutes les couleurs. Le stage m'ouvre des horizons : sur le plan des techniques, c'est surtout la conduite de réunions qui semble répondre aux difficultés que j'ai rencontrées puisque ce que j'ai tenté comporte essentiellement la mise en place de travaux par petits groupes dans la classe. D 'autre part, le stage semble aussi contenir des réponses même si ce ne sont pas celles que j'attendais, à mes difficultés face aux autorités hiérarchiques qui ne sont pas particulièrement aidantes face à des pratiques novatrices, surtout si elles émanent d'un jeune maître-auxiliaire. J'acquiers en effet quelques techniques de self-défense institutionnelle qui me seront utiles.
Les stages de Pédagogie Institutionnelle (en 1973-74-75) sont organisés par des instituteurs et principalement agencés autour de la classe coopérative. Les profs et les éducateurs qui y participent sont un peu "décalés" : les techniques Freinet ne sont pas facilement transposables dans un collège. Le tissu relationnel nécessaire à la tenue d'un Conseil semble impossible à créer avec une structure aussi fragmentée que celle de classes nombreuses, changeant de salle, de matière et d'enseignant à chaque heure. L'établissement est un gigantesque assemblage dans lequel règne à la fois une discipline de caserne il s'agit d'obéir sans discuter et sans savoir pourquoi et une résistance sourde mais très efficace à toute tentative de vie coopérative. Les élèves se partagent entre la docilité assortie de la plus grande passivité et la contestation englobant le travail et la simple acceptation de la "civilité" nécessaire à toute vie de groupe. Pour les enseignants, la survie passe par un individualisme assorti au mieux de bienveillance "privée" : ne pas parler des difficultés de travail est considéré comme une condition de bonne entente.
Le discours des organisateurs de stages de P.I. (Pédagogie Institutionnelle) met en évidence la quasi impossibilité d'appliquer les techniques de la classe coopérative dans le secondaire. Cependant, nous sommes quelques-uns à tenter des transpositions et à reprendre certains outils, les forgeant et les essayant pour les adapter à notre situation. C'est dans deux directions principales que j'oriente ma recherche :
1. Pour les élèves, parvenir à mettre en place une organisation du travail qui leur laisse le maximum d'autonomie, de choix. Ceci suppose un travail approfondi au niveau des objectifs de la matière, un découpage précis et méthodique des apprentissages et la fabrication d'outils : fiches autocorrectives, matériel et documentation utilisables de la façon la plus souple possible, organisation du temps permettant de concilier les travaux par groupes, le travail individualisé et les cours magistraux .
2. La situation éclatée d'un collège rend très nocive la coupure entre les enseignants, principalement pour les matières qui ont un horaire réduit. C'est le cas en sciences naturelles. La tentative d'apprendre aux élèves à gérer leur temps, à parler en grand groupe et à décider ensemble, est vouée à l'échec si elle n'est pratiquée que dans un temps trop restreint. Le travail en équipe avec des collègues du même établissement ayant les mêmes classes me semble donc nécessaire pour élaborer une Pédagogie Institutionnelle adaptée au collège. Ceci n'est pas le lot commun des praticiens de la P.I. : ils connaissent et pratiquent le travail collectif, mais pour la plupart avec des collègues d'autres écoles ou d'autres établissements. Il est même recommandé de "protéger" sa classe contre les intrusions des voisins. Les difficultés d'une classe coopérative sont en effet plus simples à résoudre si ne viennent pas s'y mêler le "grain de sel" des collègues dont les intentions, même bonnes ne peuvent pas remplacer la formation longue des stages et ne suffisent pas, en tous cas à perce voir le bien fondé des choix du "maître de ballet" que de vient l'enseignant dans une telle structure.
En résumé, j'ai acquis des techniques, mais tout reste à faire. Tout ? pas exactement car plusieurs groupes de profs travaillent déjà dans cette direction, en particulier dans la région parisienne et en Bretagne. Leurs écrits (6) apporteront à notre équipe des points d'appui importants. Les travaux d'autres chercheurs, notamment dans des collèges expérimentaux nous seront également très utiles.
Chaque établissement présente des caractéristiques propres, dues au dosage des disparités particulièrement nombreuses dans un tel lieu. Celui dans lequel je suis nommé peut, sans servir de référence, donner une idée au lecteur des structures d'un collège. Celui dont il sera question ici est surtout original par la proportion exceptionnellement élevée d'élèves en difficultés, ce qui se répercute sur le type des enseignants.
Architecture : Bâtiments construits en 1973-74, sur le type "ESPACE AMENAGE", c'est à dire plusieurs "modules", dont certains hexagonaux, sur trois niveaux, avec un grand Centre de Documentation et d'Information (C.D.I.) près duquel de petites salles ont été prévues pour les travaux de groupes. Des lieux sont spécialement conçus pour le Foyer Socio Educatif. Les structures d'une demi-pension existent également, avec toute l'installation de la cuisine et du réfectoire. Enfin, une aile complète est réservée à la Section d'Education Spécialisée.
Collège et S.E.S : Dans chaque secteur, un collège est chargé d'accueillir les élèves "étiquetés" débiles légers, soit depuis l'école élémentaire, issus des classes de perfectionnement ou orientés par la suite en raison de difficultés graves signalées par les enseignants, reconnues par les psychologues scolaires .Le collège de W. comporte donc une S.E.S. d'environ 100 élèves soit 6 classes dont les enseignants sont des INSTITUTEURS SPECIALISES, sous la houlette d'un directeur de S.E.S., avec des ateliers (couture, cuisine, métiers du bâtiment, fer) et les enseignants techniques correspondants. A côté, et sans que les contacts soient particulièrement faciles, le collège dit "normal" accueille les élèves ayant en principe un quotient intellectuel supérieur ou égal à 80... Cette double structure induit la présence de personnels de type "Instituteurs spécialisés" et "Professeurs techniques". Il y a aussi, bien qu'assez rarement, des instituteurs non spécialisés qui remplacent provisoirement un titulaire.
Dans le collège, les catégories de personnels sont nombreuses :
Maîtres auxiliaires : (l'histoire se déroule entre 1975 et 1982 : les M.A., comme on les nommait étaient nombreux à cette époque) Ce sont des enseignants titulaires de diplômes, généralement une licence, ou qui ont échoué aux concours d'entrée dans la fonction publique. Ils sont chargés de 21 heures de cours hebdomadaires (à l'époque) et sont nommés pour des remplacements, au mieux à l'année. La précarité de leur situation les désigne pour accepter sans discuter les classes dures et les emplois du temps les plus défavorables . Ils n'ont aucune formation pédagogique. Durant ces 7 années, à chaque rentrée, trois ou quatre auxiliaires ont été nommés dans l'établissement. Adjoints d'enseignement : titularisés après examen de leur dossier par une commission, leur service est souvent partagé entre des heures d'enseignement, de documentation, de travaux administratifs, ou de surveillance. Leur horaire hebdomadaire est calculé sur la base de 18 heures s'il s'agit de cours, l'heure de cours équivalant à 2 heures de service d'autre nature. .
Professeurs d'enseignement général de collège : PEGC : ce sont des titulaires qui ont passé un concours, en principe au niveau du DEUG (2 années de faculté) souvent titulaires d'une licence, qui enseignent 2 matières, à raison de 21 heures par semaine. Ils ont reçu une formation pédagogique dans les Centres Régionaux de Formation (d'un type voisin de celle dispensée en Ecole Normale d'Instituteurs). Les instituteurs spécialisés dans les classes dites de la "voie 3", élèves en difficultés et âgés de 11 à 16 ans se sont vus reconvertir en PEGC lors de la suppression de cette fameuse "voie 3" Professeurs certifiés : titulaires, ils ont réussi le concours du C.A.P.E.S., Certificat d'Aptitude à l'Enseignement Secondaire, ont reçu une formation pédagogique d'un an dans les centres pédagogiques régionaux. Ils doivent un service de 18 heures de cours hebdomadaires dans une seule matière.
Professeurs agrégés : ce sont les plus "gradés". Titulaires de l'agrégation, leur service hebdomadaire est de 15 heures dans une seule matière.
Cette description est simplifiée et ne tient pas compte des sous catégories qui résultent de la promotion interne : on peut accéder au grade supérieur sur examen du dossier, et les titulaires d'un concours jugé difficile ne considèrent pas toujours d'un oeil favorable leur collègue qui a le même grade par son ancienneté... Il faut également noter que plus on est gradé, plus on est payé, plus le service est léger, les plus gradés et les plus anciens choisissant les premiers leurs classes et leur emploi du temps : les classes difficiles par leur caractère indiscipliné sont données aux débutants ou aux PEGC... Cette tendance est parfois contrée avec plus ou moins d'efficacité par la direction du collège qui doit alors affronter des pressions de la part des catégories gradées et chevronnées ...
Personnels non enseignants : équipe administrative, surveillants, agents de service, assistante sociale, infirmière, conseiller d'orientation, ils n'ont pas toujours le contact facile avec les enseignants... En général, on ne les voit jamais en salle des professeurs. Les surveillants ont leur salle à part et sont souvent assez hostiles aux enseignants qu'ils accusent de se débarrasser des élèves perturbateurs. Les femmes de ménage quant à elles supportent difficilement de nettoyer une salle dont les tables ne sont pas rangées "comme d'habitude" c'est à dire alignées.(7) . Les syndicats : le milieu enseignant a été pendant longtemps un des plus syndicalisé de la population active. Même si ce n'est plus tout à fait le cas ; il reste fortement marqué par une certaine diversité des influences syndicales. Dans un même établissement, il y a généralement la puissante Fédération de l'Education Nationale (F.E.N.) avec le SNI/PEGC qui regroupe les PEGC, le SNES (pour les professeurs certifiés et agrégés) et les syndicats plus particuliers (de professeurs d'éducation physique, des agents de service, des agents de bureaux...) Le Syndicat Général de l'Education Nationale (SGEN) est également assez souvent présent. Il syndique toutes les catégories. C'est un syndicat C.F.D.T., donc inclus dans une centrale ouvrière.
Il se trouve aussi des collègues syndiqués au SNALC (Syndicat National Autonome des Lycées et Collèges) ou au SNC (Syndicat National des Collèges) ou au CNGA (Confédération Nationale des Groupes Autonomes). Cette liste n'est certainement pas exhaustive. Force Ouvrière (F O) n'est pas encore représenté à ce moment. Une telle situation favorise parfois les confrontations d'idées, plus souvent les luttes d'influence et les batailles de pouvoir en dehors desquelles il est illusoire de vouloir rester, sous peine de faire le jeu involontaire des uns ou des autres.
A W., la récente ouverture de l'établissement n'a pas encore permis les affrontements. Lors de ma première rentrée, le SNI, le SNES et le SGEN se sont manifestés par voie d'affiche. Le SGEN, minoritaire dans la plupart des académies est traditionnellement fort en Moselle. Mais, seules 2 collègues ont signalé leur appartenance à ce syndicat dont je suis adhérent depuis mon passage à l'Ecole Normale d'Instituteurs. Le secrétaire du SNI/PEGC se sent donc en position de force et estime être le principal représentant des forces syndicales du collège. La suite lui fournira bien des désillusions. Hiérarchies : Le principal, chef d'établissement, est entouré d'une équipe administrative comprenant un principal adjoint, un gestionnaire, un conseiller d'éducation et un directeur de S.E.S.. Le gestionnaire tient les comptes sous la houlette d'un intendant, lequel supervise plusieurs établissements. Dans le collège, l'ordonnateur des dépenses reste le Principal. Le Conseiller d'Education (C.E.) dirige les surveillants. A W., il n'a été nommé qu'au cours de la troisième année de fonctionnement et à la suite de plusieurs actions syndicales. De nombreux collèges n'ont pas de C.E..
La documentaliste est classée parmi le personnel enseignant, mais souvent en partie intégrée à l'équipe administrative. Chargée du centre de documentation et d'information, elle n'a aucune fonction hiérarchique, mais sa position la met en contact avec l'ensemble des personnels et lui donne de ce fait un réel pouvoir d'organisation si elle le veut et sait le prendre.
La secrétaire travaille sous les ordres du principal et de son adjoint. Elle connaît les dossiers de chaque enseignant, ainsi que ceux qui concernent l'ensemble de la vie du collège. C'est à elle que l'on s'adresse si l'on veut prendre contact avec le Principal. A sa manière, elle exerce un certain pouvoir.
Le principal, son adjoint et le directeur de la S.E.S sont les supérieurs hiérarchiques qui dirigent les services de l'établissement. Cependant, ils n'ont pas d'autorité pédagogique. Sur ce terrain, ce sont les inspecteurs qui contrôlent le travail, et il y en a de différents pour chaque catégorie de personnel.
Il faut noter enfin le rôle du CONSEIL D'ADMINISTRATION remplacé depuis par l'actuel Conseil d'Etablissement, constitué de l'administration et de membres élus représentant les diverses catégories de personnel, les parents d'élèves, les élèves, de représentants de la mairie et d'une personnalité cooptée, c'est à dire nommée par les autres membres du conseil pour la position qu'elle occupe dans la localité. Ce conseil a une fonction consultative. Le chef d'établissement n'est pas tenu de suivre les avis qu'il peut émettre. Mais c'est une institution démocratique (à condition que chacun de ses membres exerce la vigilance et les droits qui sont les siens) et il est difficile à un principal de ne pas en tenir compte.
Bien souvent, le principal bénéficie de l'appui de professeurs généralement anciens qui exercent une influence difficile à mesurer. Il est utile, si l'on veut faire adopter une proposition novatrice, de bien connaître l'état des rapports de force qui naissent, évoluent, et agissent sur l'équilibre de cette construction complexe.
Un mot des notes attribuées au personnel : chaque année, une note administrative est donnée par le Principal, modifiée par les péréquations académique et nationale, et tenant compte de divers facteurs (8). La note pédagogique, attribuée par l'inspecteur est ajoutée à cette note. Bien que niée dans le discours de beaucoup de collègues, l'importance de cette note est grande : elle conditionne l'avancement indiciaire, donc la progression plus ou moins rapide dans l'échelle des salaires, ainsi que les possibilités de mutation : celui qui veut partir, et c'est le cas de beau coup à W., a intérêt à être bien noté, donc à ne pas trop s'opposer à la hiérarchie.
Enclavé : c'est le mot qui désigne la situation du quartier. A l'ouest comme à l'est deux grands axes routiers. Au nord et au sud deux zones industrielles. Cette situation géographique aggravée par le niveau économique et culturel favorise une organisation sociale et une vie relationnelle fortement repliées sur elles-mêmes : une sorte de ghetto. C'est ici qu'ont été relogés, soit dans des maisons basses de type P.S.R. (programme social de relogement) soit dans des H.L.M. passablement dégradées, des habitants ex pulsés des vieux quartiers de la ville voisine.
Plus de 35 % d'élèves sont d'origine étrangère récente : la langue française n'est pas leur langue maternel le, et souvent n'est pas parlée à la maison. De plus, ce sont au moins douze communautés linguistiques et culturel les qui se côtoient ici, avec une proportion de 70 % de maghrébins. Parmi les familles immigrées, certaines ont opté délibérément pour une intégration et décidé de se fixer en France : pour eux, les études françaises sont une nécessité et la motivation des enfants est forte. Pour d'autres au contraire, leur situation "de passage" ne les incite pas à considérer les études comme prioritaires.
L'ensemble de la population du quartier se caractérise par un niveau socio-économique défavorisé : 23 % de "non actifs", 62 % d'ouvriers. L'image qu'ils ont conservée de l'école est souvent celle de leur échec. Pour ceux qui ont un peu mieux réussi, la culture ne semble pas y être pour grand-chose.
En relation avec cette situation, le devenir des élèves se caractérise par des retards, redoublements et orientations vers des voies sans avenir. Dès l'école élémentaire, les redoublements se manifestent : leur taux s'accroît régulièrement au cours de la scolarité. A l'entrée en sixième, 41 % ont un an de retard, 12 % ont plus de 2 ans de retard sur l'âge normal. Les échecs accumulés pèsent à la fois sur la motivation de ces élèves et sur leur ambition : beaucoup aspirent à quitter le plus vite possible ce collège qui ne leur renvoie que cette évaluation négative d'eux-mêmes.
Le schéma qui suit montre les orientations des élèves entre les 4 niveaux (sixième, cinquième, quatrième, troisième) dans et hors le collège. Un tel tableau fait ressortir la faible proportion d'élèves qui vont accéder à l'enseignement d'une classe de troisième de cycle dit normal. LA SOLITUDE ET L'ESPOIR ?
La description qui précède permet de mieux comprendre un certain sentiment de solitude que j'éprouve peut-être plus que d'autres : face à chaque classe qui entre à l'heure convenue dans la salle et dont chaque enfant/élève renforce autant qu'il peut le caractère de face à face, je suis seul. Sous l'autorité du chef d'établissement qui en dernier ressort décide de l'emploi de mon temps, m'attribue telle classe plutôt que telle autre, arrange ou non mes horaires pour que je puisse me concerter avec mes collègues, se réfugie derrière des contraintes, souvent réelles, parfois "diplomatiques", pour refuser ce qu'il aurait le pouvoir d'accorder, je suis seul. Par rapport à l'inspecteur qui juge la qualité de mon enseignement selon des critères d'efficacité dont à ce jour personne n'a pu me démontrer le caractère objectif, qui fait manifestement entrer dans son appréciation un facteur de docilité qui m'apparaît peu compatible avec l'idée que je me fais de mon métier, je suis seul. A côté de moi travaillent des collègues dont chacun, même s'il a des difficultés comparables aux miennes ne peut oublier qu'il n'a ni les mêmes horaires, ni les mêmes contraintes, ni le même salaire ni les mêmes droits ... ! Ajoutons à cette accumulation de facteurs de division donc d'isolement, les perceptions les plus diverses de chacun par rapport au temps, à l'argent, au savoir, au pou voir, et nous avons les données du problème que je me pose : comment dans ces conditions mettre en place un travail d'équipe qui, selon moi est une condition nécessaire à la pratique de la pédagogie institutionnelle dans un collège.
Cette phrase de Jean OURY (9) illustre bien le collège, son ordre établi avec la complicité quotidienne, par fois consciente de tous ceux qui y tiennent pour laquelle l'Etat les a formés, réglemente leur activité, note leur obéissance, et étouffe tout ce qui risque d'y introduire du changement.
Cette phrase me semble aussi exprimer en raccourci une pensée qui m'habitait au début de ce travail. Les années passées dans la lutte acharnée pour faire reculer la mort, ou plutôt de ce que je ressentais comme tel dans l'agencement des non-lieux, des non temps, des inéluctables programmés.
Les élèves et leur cruelle inadaptation à l'école ont agi sur moi et sur mes compagnons collègues d'aventure, nous maintenant sans cesse dans le manque, aiguillonnant notre désir d'un sens à (re)trouver dans notre travail. C'est enfin le travail des groupes, les Equipes de Pédagogie Institutionnelle (E.P.I.), les stages, les écrits des autres , le réseau vivant du COLLECTIF DES EQUIPES DE PEDAGOGIE INSTITUTIONNELLE qui ont enclenché, structuré, critiqué et reconnu notre tentative.