date : 2006
Règlements (d'école, de classe, ), règles de vie de la classe et P.I.
J'ai écrit ce texte pour le P'tit B.I(sère) en 2004. J'y réagissais en rebond au travail mené au cours de la Rencontre de Saint-Vérand du mois de mai sur la question du travail et des relations avec les collègues dans nos écoles. Je l'ai un peu repris, il me paraît toujours d'actualité.
Irène Laborde
Au cours des échanges dans le groupe où j'étais samedi, il a été question d'un inspecteur qui incite/invite/impose ( ?) la mise au point par les équipes d'enseignants des écoles de sa circonscription d'un règlement de classe qui serait le même dans toutes les classes du CP au CM2. Je veux rebondir sur ce fait car il m'a beaucoup troublée (et énervée ça s'est vu) - pour tenter de lire le sens qu'il peut avoir dans l'école telle qu'elle dérive actuellement et dégager peut-être les retombées que cela peut avoir sur la pratique de ceux/celles qui veulent tenter la P.I.
Et d'abord, essayer de re-dire le plus clairement possible, dans la perspective de la pratique de la Pédagogie Institutionnelle (qui n'est une pédagogie ni libertaire, ni non-directive), comment s'inscrit l'autorité du maître, légitimée institutionnellement par sa fonction même (autrement dit, il est payé pour l'exercer) dans le cadre de l'école Républicaine Française.
1° Le Règlement de l'école
Il représentent le cadre préalable et indispensable assurant aux enfants la sécurité et la stabilité à laquelle ils ont droit (Déclaration universelle des Droits des enfants). Ce cadre-là leur est imposé (on peut dire comme ça et c'est mieux de le dire car c'est la réalité) et il représente la fondation de la vie scolaire, avec des interdits dont on peut parler (c'est même conseillé) mais non négociables : interdit de se pencher aux fenêtres ou de courir dans les escaliers, interdit de se battre, interdit de se moquer (jamais inscrit dans les règlements d'école, dommage), .
C'est une obligation institutionnelle, pour chaque école, de se doter d'un règlement (à partir d'un règlement-type départemental). Les parents des élèves y sont associés - ce qui me paraît normal pour des questions d'organisation (des horaires par exemple), et beaucoup moins normal pour des questions de comportements individuels pendant les heures de classe qui relèvent de l'autorité des maîtres et de leur fonction et pas de celle des parents. Bref
Que les maîtres le mettent au point ensemble est très important, ne serait-ce que parce qu'ils vont devoir
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se mettre d'accord, à cette occasion, sur « ce qu'ils permettent » et ce qui ne peut être toléré, dans les espaces et les temps communs à toutes les classes,
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constater qu'ils ne sont pas d'accord, - n'ayant pas le même seuil de tolérance aux manifestations de l'enfance et donc pas les mêmes conceptions éducatives, - en prendre acte et échanger, ce qui peut être source, à condition que cette discussion s'inscrive dans des échanges « humanisés » (respect de la parole de tout autre), - d'évolution pour chacun.
Le consensus indispensable pour établir un règlement commun permettra une plus grande cohérence du groupe des adultes de l'école aux yeux des enfants (source pour eux d'un sentiment de sécurité et de stabilité, leur apportant une plus grande sérénité dans leurs relations avec leurs « pairs » et avec leurs « pères », les adultes, garants de ce règlement).
2° Règlement de classe
Chaque enseignant est (encore ?) libre du choix de sa pédagogie. Avant même de se lancer dans telle ou telle manière d'exercer son métier (au plan didactique, pédagogique, organisationnel, relationnel dans la classe) il lui faut mettre en place un cadre de travail dont (entre autre) le règlement de la classe. Il représente ce que va exiger, imposer, ne pas tolérer, le maître, en début d'année pour que la classe puisse se mettre au travail. Qu'il le veuille ou non, qu'il l'admette ou non, qu'il en soit conscient ou non (dans ce dernier cas c'est dangereux voire nuisible) un maître « balise » son action et pose des limites au comportement (scolaire) en classe des enfants. Plus ces balises sont explicites et clairement présentées, plus les enfants seront en sécurité, plus la classe pourra commencer à faire ce pour quoi elle est rassemblée dans ce lieu et pour ce temps : apprendre et grandir.
En aucun cas le règlement de la classe ne doit être négocié. Il est imposé : c'est ce qu'exige le maître (pour que la classe puisse travailler et devenir ensuite un « vrai » groupe de pairs qui vont travailler coopérativement (peut-être), apprendre la fraternité , la solidarité (on l'espère) en même temps que lire-écrire-compter.
En aucun cas ce sont les enfants qui rédigent ce règlement (pas plus que le règlement de l'école). Il n'est cependant pas interdit (c'est même indispensable) :
(a parte)
Beaucoup de maîtres s'arrêtent-là ce qui n'est déjà pas si mal (et je n'ai guère d'illusions, les deux conditions ci-dessus sont rarement remplies).
On voit des règlements de classe affichés et soi-disant mis au point par les enfants (et le maître). Cette pratique très maladroite (et mensongère) part d'un bon sentiment (mais l'enfer est pavé, etc) et cache soit une manipulation de l'adulte, consciente ou non, (il fait régurgiter aux enfants les règles de l'école qu'ils connaissent depuis la maternelle) soit une illusion libertaire nuisible (ce sont les enfants qui doivent faire la loi) mais bien dans l'air du temps.
Les enfants « ne font pas la loi ». La loi qui est extérieure à tous y compris au maître qui y est soumis comme tout autre -, ils ont à l'intégrer, la construire, l'intérioriser, c'est la finalité même de toute éducation. Mais pour que ce ne soit pas de force (le dressage), le praticien de la P.I. fait en sorte qu'ils soient « partie prenante » de l'organisation de leur vie de classe, de leur vie commune, de leurs projets, de leurs rêves pourquoi pas, dans un cadre très strict et rassurant qui est l'autorité du maître. Gilbert Mangel dit que la P.I. c'est « faire de la loi ensemble » et j'ajoute : « et construire (en soi) de la loi ensemble. »
Alors la P.I. (comme toute l'éducation et même les apprentissages fondamentaux) se déploie donc sur le fil du rasoir entre libération et contrainte. P.I : Pédagogie de l'Inachevé car le fil du rasoir signifie l'équilibre impossible à atteindre.
Le praticien de la P.I., simultanément (au règlement de la classe qu'il essaie du mieux qu'il peut de rendre agissant) institue un temps et un lieu ritualisé, fixe dans la semaine, à la fréquence immuable : le Conseil.
C'est le second cadre de la classe. Les premiers (règlement d'école, règlement de classe,
institués par l'équipe pour le premier et par le maître pour le second, non négociables) sont protecteurs et structurants ; le second est
instituant1. Les enfants auront là « leur mot à dire », voix au chapitre, prise sur l'organisation de leur vie d'écolier. Les décisions sont prises collectivement et peuvent à tout moment être parlées, discutées, aménagées, réaménagées voire supprimées. L'institué est figé, l'instituant en mouvement.
2
Du conseil pourront émerger
les règles de vie de la classe, liées à des projets, (dont le premier est d'« apprendre ensemble »)
3 et donc issues des nécessités de la vie coopérative (Loi de l'échange) du groupe-classe ou des difficultés qu'il a rencontrées. Ces règles internes au groupe viendront s'inscrire dans le cadre du règlement de la classe sans jamais entrer en contradiction avec lui (ce qui serait absurde et dangereux).
1 : La Loi humaine (ce qui fonde notre humanité avec 2 interdits fondateurs : l'interdit du cannibalisme (et donc l'interdit du meurtre), l'interdit de l'inceste
2 : Les lois sociales d'une société donnée à une époque donnée, culturellement, historiquement et idéologiquement marquées donc
3 : La Loi de l'école (la Loi d'Orientation pour l'éducation votée par l'Assemblée Nationale)
4 : Le règlement de l'école
5 : Le règlement de la classe
6 : Les règles de vie de la classe décidées en Conseil
Le cadre central 6 (le règlement que la classe se donne et qu'il est préférable pour bien le distinguer de l'appeler par exemple « Règles de vie de la classe ») représente le pouvoir des enfants.
C'est le Mouvement d'éducation Nouvelle (né d'un mouvement de libération plus vaste issu de la Révolution Française) qui, après avoir mis à jour (éclairés en cela par les découverte en psychologie de l'enfant et par la psychanalyse) que l'éducation de type dressage était non seulement vaine mais aussi nocive car source d'un refoulement violent et donc de névroses, a fait s'opérer une véritable révolution copernicienne dans les conceptions de l'éducation et dans la manière de considérer l'enfant. Ce Mouvement a en outre fédéré ce qu'on appelle encore « les pédagogies nouvelles ». La Pédagogie Institutionnelle s'inscrit historiquement dans celles-ci. Elle s'en réclame et s'y reconnaît au plan de la filiation. Elle est la plus récente historiquement.
L'école officielle française quant à elle, s'est « ouverte » - sinon soumise malgré elle (si on veut dater depuis 1968 environ) - à cette influence (ainsi qu'à celle de l'Université et de ses recherches en didactique notamment). Les I.O s'inspirent (sans jamais le reconnaître
4) des avancées du Mouvement d'éducation Nouvelle. Mais ça s'arrête-là parce que ça dérive sans cesse (évidemment). Pour preuve ce que j'ai entendu samedi et qui m'interroge et que j'essaie de lire.
3° Ces règles et règlements et l'éducation nationale
Imposer aux maîtres d'une école le même règlement de classe, c'est considérer que tous les maîtres ont les mêmes conceptions éducatives (ou encore qu'ils n'ont pas à en avoir d'autre que celle de la hiérarchie sensée penser pour eux).
C'est considérer qu'ils sont voire doivent être - les mêmes, absolument identiques (et surtout soumis à la hiérarchie de l'éducation Nationale et de ses Inspecteurs).
C'est surtout nier la dimension « humaine » de chacun, nier l'évidence : des différences (du fait de notre histoire propre, de notre éducation, de notre scolarité, ) dans notre rapport à l'enfance, à la loi, à l'éducation, à l'éthique du métier, à une représentation du monde, à notre « humanité ».
C'est une attaque sournoise de plus à l'entité classe.
C'est nier l'inconscient, nier que l'inconscient à l'école comme partout parle et agit, est la crypte de l'institution scolaire (comme en détient une toute institution - qui est une construction sociale « humaine » et donc dotée d'une vie inconsciente, là, groupale).
Si c'était le cas (mais ça ne l'est pas) nous serions plus tranquilles. Les maîtres seraient des clones interchangeables, des robots formatables et donc bien « formatés » (par l'institution) qui elle, sait, comment chaque maître doit se conduire, doit être, doit faire.
Je lis dans le fait apparemment anodin rapporté samedi lors de la Rencontre, un désir inconscient de maîtrise redoutable de la part de l'institution. Assez inquiétant mais pas réellement nouveau.
Et tout ça pour tenter d'éteindre l'incendie que l'école pyromane allume elle-même en provoquant (et permettant et même promouvant) :
- les échanges de service tout azimut,
- les spécialisations à outrance (« Tu fais tout le français aux Cycles 3 et je fais les maths », déclenchées par les exigences au plan didactique de plus en plus fortes et impossibles à mettre en œuvre par la quasi totalité des instituteurs, ce qui les culpabilise et les incite à chercher des solutions du côté de la spécialisation),
- le lieu et le temps spécifique de chaque classe qui vole alors en éclat du fait des interventions extérieures (quasi impossibles à éviter) et donc l'ouverture non maîtrisée de l'école.
Il faut redire encore que la pratique de la P.I. à l'école primaire, pour bénéficier et se mettre en oeuvre dans de bonnes conditions, exige ce sur quoi l'institution actuellement déclenche l'artillerie lourde « Un maître, une classe ». Mais l'école primaire (surtout pour les cycles 3) devient un petit collège (c'est vrai que le collège est tellement une réussite formidable il convient de le copier).
Les « solutions » actuelles sont des dispositifs nuisibles, catastrophiques même. On en constate déjà des retombées comme l'excitabilité plus grande des enfants qui n'est que la partie visible de l'angoisse générée par un milieu scolaire de plus en plus « éclaté ».
Je lis aussi dans cette perspective les récentes instructions ministérielles concernant le Projet d'école et le ramdam dont le travail en équipe est l'objet depuis une dizaine d'années.
Une idée apparemment positive (à travailler ensemble on est plus fort, plus efficace, plus inventifs, plus dynamiques) devient entre les pattes de cette grande névrosée qu'est l'éducation Nationale la pire des choses : un moyen de pression persécuteur, une négation des différences (bref, du Désir).
Alors samedi, derrière une question qui semblait un peu anodine dans la perspective de la pratique institutionnelle à l'école primaire, celle des relations entre collègues, m'est apparu soudain dans le groupe avec lequel je travaillais, un danger assez grave (un de plus, l'éducation Nationale ne manque jamais de dénier - ça ne date pas d'hier - sa responsabilité quant à ses échecs).
Véronique, en racontant son malaise et sa difficulté à se rallier à cette idée de règlement de classe identique pour tous les maîtres de son école a soulevé un lièvre et pas un petit.
Comme quoi la pratique de la P.I. rend un peu plus vigilant et un peu moins enclin à se laisser leurrer par les soi-disant innovations institutionnelles.
Irène Laborde, Collectif isérois
1 Dans le collectif isérois l'appartenance au Mouvement pédagogique MPI et au Collectif européen d'équipes de Pédagogie Institutionnelle est institué (l'a été dès l'origine) ; toutes les autres règles de fonctionnement sont instituantes.
2 A noter que l'institué comme l'instituant sont investis et infiltrés par l'inconscient et donc, source de fantasmes, de projections, de désirs, ...
3 Il faut clairement dénoncer un malentendu fréquent y compris dans les I.O : le Conseil n'est pas un « outil » pour gérer la discipline.
4 ce déni de la filiation est une des composantes de la sauvagerie de l'école