par Irène Laborde - Janvier 2006
Pour l'écriture de cette contribution(note1), j'ai sollicité les praticiens français de la P.I. du Collectif isérois. Le texte qui suit a été rédigé en rebond aux questions que les camarades m'ont posées.
Ce numéro de Traces sera lu avec attention en Isère car les questions sur l'autorité en général ont été très nombreuses. La première remarque que je peux faire c'est bien que les praticiens de la P.I sont tout autant interrogés par la question de l'autorité que tout un chacun.
Mais parmi les questions qui m'ont été soumises, j'ai pris le parti de ne traiter que celles qui concernent l'articulation entre Autorité et Pédagogie Institutionnelle.
Merci au Collectif des équipes de P.I de l'Isère pour le coup de main.
Qu'est-ce que l'autorité pour la Pédagogie institutionnelle ?
L'autorité, serait selon le Littré : le « pouvoir de se faire obéir ». Cette définition générale, rapportée à la question de l'enseignement devient : « l'autorité est le pouvoir du maître d'occuper sa place de maître c'est-à-dire sa place de responsable de la classe et de ce qui s'y passera : vivre ensemble dans les conditions nécessaires aux apprentissages ».
L'autorité du maître dans la Pédagogie Institutionnelle va lui permettre – comme pour n'importe quelle pédagogie - d'organiser la classe de façon à ce que les apprentissages puissent s'y organiser et s'effectuer. Mais cette intention se concrétise et est mise en œuvre en visant continûment à ce que les élèves, à terme, soient en mesure d'avoir eux-mêmes du pouvoir afin de devenir authentiquement partie prenante dans la vie de la classe. L'autorité dans la classe institutionnelle s'exerce de manière à ce que la classe se fonde sur l'un des 3 principes fondateurs de l'éducation Nouvelle (note2), celui du self government, qui met en avant le droit des élèves d'avoir prise sur l'organisation de leur vie à l'école plutôt que d'être soumis entièrement à l'autorité de leurs professeurs.
Dans une classe institutionnelle peut-on parler d'autorité du maître ?
Absolument. Le partage du pouvoir, contrairement au partage d'une tarte au poireaux (par exemple) ne diminue pas mais au contraire accroît l'autorité du maître. Car celle-ci n'émane plus seulement de sa seule personne, ne trouve pas seulement en lui-même sa validité mais plutôt dans l'ensemble des institutions auxquelles chacun participe. Le maître n'est plus le seul responsable dans la classe, même s'il reste incontestablement responsable de la classe. L'autorité est partagée dans le cadre de la répartition des différentes responsabilités et donc du pouvoir de chacun. Elle est surtout partagée grâce à la possibilité qui est garantie à tous de parler, de critiquer et de féliciter, de proposer…, et de décider collectivement au Conseil (le maître gardant un droit de veto protecteur des institutions et des personnes) et donc d'avoir prise sur l'organisation de la vie de la classe afin qu'elle devienne, de mieux en mieux et de plus en plus, un lieu de vie et d'apprentissage où chacun s'y retrouve (et y trouve le désir d'en être et de travailler).
Le maître en ce sens exerce l'autorité certes mais surtout « fait autorité » dans le sens où il garantit le respect de la loi fondatrice de la classe (Loi 0 en P.I. « Chacun est là pour apprendre et pour travailler ») et la sécurité des personnes.
Est-ce que la PI change la manière d'exercer l' autorité dans la classe ?
Oui, et même change beaucoup la manière d'exercer le pouvoir d'enseigner. A terme (car la P.I. s'instaure peu à peu, au fur et à mesure que la classe s'institutionnalise, il est nécessaire d'insister sur ce point) le professeur n'enseigne plus « contre » ou « malgré » les élèves. La relation n'est pas frontale, elle accompagne le mouvement (elle passe donc de la contrainte à la coopération) vers une plus grande émancipation du groupe qui gagne peu à peu du pouvoir et des moyens de l'exercer.
Y a-t-il dilution de l'autorité du maître dans la classe institutionnelle ?
L'autorité de maître est-elle davantage remise en question dans la classe PI ?
Prendre cette question à la légère serait une erreur car elle exprime une crainte très compréhensible à la racine de laquelle se trouve une peur inconsciente, celle de perdre la maîtrise du groupe-classe, que tout enseignant fantasme couramment comme en train de lui échapper et de sombrer dans le chaos.
Dans la classe institutionnelle si le maître (et non son autorité, c'est-à-dire la manière dont il se représente lui-même fantasmatiquement en train d'exercer le pouvoir) est mis en cause au Conseil, ce sera dans le cadre de ce à quoi il s'est engagé ou dans celui de la manière d'assumer sa responsabilité de la classe. Comme toute personne dans la classe il aura à rendre compte (et non pas à « rendre des comptes »…) sur ce à quoi il s'est engagé ou ce à quoi sa fonction d'enseignant l'engage. S'il faillit, ce n'est pas son autorité qui est remise en question mais plutôt sa crédibilité. Je me souviens d'un Conseil au cours duquel la maîtresse pour la troisième fois était sollicitée en vain au sujet de photographies qu'elle s'était engagée à apporter en classe et de cette petite fille mécontente de cette affaire qui avait murmuré pour elle-même : « Si elle ne les apporte pas lundi, on fait la grève… ». Ce n'était pas l'autorité de cette maîtresse dans le cadre du Conseil qui était « remise en question » mais bien la manière dont l'enseignante (ne) tenait (pas) parole. Que le maître puisse être interpellé dans ses responsabilités par le groupe-classe me paraît au plus au point légitime et utile car les institutions représentent des garde-fous précieux contre la tendance « naturelle », quand on exerce un pouvoir, d'en abuser. Dans cette perspective le Conseil - et les institutions qu'il permet de mettre en place et de faire vivre – protège l'autorité du maître parce qu'il la balise, et protège le maître lui-même parce qu'il l'oblige à se demander sans cesse « ce qu'il fabrique » dans le cadre de sa fonction.
N'y a-t-il pas une confusion possible entre responsabilité, prise de pouvoir et autorité dans les relations entre pairs et entre maître et élèves surtout en PI ?
Cette question concerne sans doute les institutions primordiales que sont les Responsabilités (on dit aussi les Métiers) prises par les élèves dans le cadre du Conseil. Je ne parle pas – la confusion est trop courante – de ces « services », distribués par le maître à certains élèves pour se décharger de tâches répétitives gourmandes de temps. Si les Responsabilités sont prises en Conseil, elles représentent autant d'engagements personnels non seulement à exercer un pouvoir donné mais surtout à en rendre compte devant l'ensemble de la classe réunie en Conseil et pas seulement (c'est le cas des « service ») face au maître. La confusion évoquée dans la question n'est plus dès lors à l'ordre du jour. Là encore, c'est le Conseil qui est protecteur car il veille à éviter ou à gérer – en tant que lieu de râlage, de recours et de médiation toujours possibles quant aux abus de pouvoir éventuels de certains dans le cadre de leur responsabilité.
La PI aide t-elle le maître à asseoir son autorité ou au contraire la freine t-elle ?
Je me souviens d'une camarade de la P.I. qui un jour avait fait remarquer que la P.I était un recours espéré de la part d'enseignants qui soit ne s'autorisaient pas à exercer leur autorité (et qui donc pensaient en manquer) en espérant que le groupe-classe le ferait à leur place, soit d'enseignants enclins à l'autoritarisme, qui en étaient conscients et qui espéraient trouver dans la P.I un moyen de préserver leurs élèves de leurs possibles excès d'autorité et du risque donc de l'autoritarisme.
Je dirais des premiers que s'ils se trompent, ils l'apprendront très vite à leurs dépends. Pour eux la P.I. risque fort de ne pas tenir les promesses qu'elle semblait porter dans l'idée qu'ils s'en faisaient. La P.I. n'est pas une pédagogie non directive et même tout le contraire.
Je pense que les seconds font preuve de sagesse et qu'en effet effectuer cette prise de conscience-là – de la nocivité toujours possible de l'action éducative et pédagogique - est une des raisons qui font que des enseignants se tournent vers la P.I., pour, – avant même que de vouloir « apporter » quoique ce soit aux enfants et aux jeunes – souhaitent « ne pas nuire ».
Quelles institutions peuvent renforcer ou diminuer l'autorité du maître ?
Les institutions ne renforcent ni n'affaiblissent l'autorité du maître. Elles lui permettent d'exercer le pouvoir autrement : en le partageant.
Autorité et conseil où se situer ?
Cette question ouvre sans doute sur la question de la place du maître au cours du Conseil. Travail de longue haleine (jamais terminé je pense, à remettre incessamment – avec d'autres praticiens de la P.I. c'est moins difficile… - sur le métier) que je n'aurais pas l'ambition de traiter rapidement. Je dirai simplement que le maître dans le Conseil doit s'efforcer – comme tout un chacun en classe – d'occuper sa place, toute sa place mais rien que sa place.
La PI garde-fou contre l'autoritarisme ?
Absolument. Garde-fou contre l'abus de pouvoir.
Pour terminer je laisserai la parole à Fred Grassin du Collectif isérois des équipes de Pédagogie Institutionnelle, qu'il soit ici remercié, qui m'a fait parvenir cette remarque : « La PI permet de passer de la figure d'autorité – celui qui autorise – à ce qui autorise. »
Irène Laborde, Collectif isérois
note 1 : L'équipe de la Revue Traces de Changement de la CGé de Belgique m'a proposé une contribution pour le N° consacré au thème de l'autorité. Le Collectif isérois a été sollicité pour un coup de main sous forme de questions (payées 1 pépite les 3) que les copains se poseraient sur la question de l'articulation entre Autorité et P.I. Je fais paraître ce texte dans le BI.
note 2 :
Les deux autres principes sont la coopération et la confiance dans la relation pédagogique entre adultes et enfants et les méthodes actives comme principe organisateur des apprentissages