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COLLECTIF EUROPEEN
D'EQUIPES DE PEDAGOGIE INSTITUTIONNELLE
auteur : veronique
date : 01 décembre 2024

Costruttivo, ma non troppo !


Damien Cru est le copain tailleur de pierres dont parle Jean Oury dans son séminaire lorsqu'il y évoque l'image de la boîte à outils. Il est intervenu à Psypropos, à Blois, ce samedi 04 octobre, pour y parler de prévention des risques professionnels… NON !... ne tournez pas la page !.. Intervenant à la suite de Michel AMRAM qui venait de retracer devant nous l'histoire de la construction de ce lieu où y a d'l'école qu'est « La Neuville », vous y découvrirez peut-être, en PI, des résonances avec vos préoccupations professionnelles, beaucoup plus parlantes que n'importe quelle intervention pédagogique. Il y est question d'aménagement de l'espace.

Invités à descendre, au risque d'y déraper, par le petit chemin qu'ont pratiqué les ouvriers qui se rendent sur le chantier de fouille, il nous faut bien nous rendre à l'évidence : les gars n'empruntent pas la descente qu'on finit par découvrir, aménagée, pour leur sécurité, avec des marches, un peu plus loin sur le côté. Leur motivation est-elle pour autant de couper au plus court ? Damien se prend à rêver au petit chemin qui, dans son enfance descendait la colline. Et s'il était pour eux aussi question de rêverie ?

Les bâtisseurs n'habitent pas l'espace comme on le fait d'un espace déjà construit. Il s'agit pourtant de l'habiter… Comment chacun se débrouille-t-il de ce mouvement de construction/déconstruction permanente ? L'escalier aménagé est en effet appelé à être déplacé ici ou là, au rythme de l'avancement du chantier.

Bien sûr, la prévention des risques nécessite des prescriptions, mais quel jeu garde-t-on quand il s'agit de les appliquer ?... à l'image de ces lavabos qu'on installe à tel endroit, alors qu'on voit parallèlement et régulièrement tel ou tel se laver les mains dans un seau.

Le monde du chantier est nomade. Il s'agit de savoir comment on l'habite… à l'image aussi de ces grues de puisatier aménagées et réaménagées en fonction de l'espace de manière à les éloigner suffisamment du puits, mais en même temps pas trop car il faut pouvoir voir au fond.

Alors de temps à autre tombe un décret : interdiction de toucher au matériel pour des questions d'assurances… car les assurances ne marcheront pas si le matériel, désormais aux normes, a été modifié. En fait, on sait bien que, dans la pratique, c'est toléré… ça ne pourrait pas marcher autrement !

Damien parle de son métier de tailleur de Pierre : par où ça passe la sécurité dans notre métier ? En fait, les gars les plus exposés ne sont pas ceux qui réclament le plus de mesures de sécurité. « Alors !... on va leur faire de la formation ! »

Quand on en parle en petit groupe, on s'aperçoit que les savoir-faire de prudence ne sont généralement pas étiquetés « sécurité ». Ce sont des choses quotidiennes auxquelles on ne fait plus attention. Quand il y avait encore des échafaudages tubulaires avec des colliers, chacun pouvait adapter la hauteur de l'échafaudage à sa taille et s'approprier ainsi l'espace. Aujourd'hui, avec le matériel de sécurité préfabriqué, il n'est plus possible d'ajuster singulièrement à sa taille son poste de travail. La bureaucratisation de la prévention vient en rupture avec les possibilités d'appropriation de l'espace de travail.

« Le métier » tel qu'il se transmet, non à travers des normes, mais tel qu'il se transmet collectivement entre pairs, c'est aussi quelque chose de collectif. « Le métier » autorise à prendre du temps pour aménager son espace de travail, et il favorise la transmission de ce souci. Les autres ouvriers y veillent. D'ailleurs, le métier évolue. Les conditions dans lesquelles il se pratique sont elles-mêmes nomades, alors qu'au nom de la traçabilité, on en arrive à des délires bureaucratiques face auxquels, comme nous l'a rappelé Michel AMRAM évoquant la stratégie de Fernand OURY face à d'épineuses questions de statut : « faut faire les idiots ! ».

Comment rendre compte au bureaucrate de la subtilité du langage utilisé pour déplacer un bloc de pierre : « avec la pierre, nous dit Damien, il faut être rusé : on va la rouler… on la couche… on la lève… on la fait marcher… on la fait boire, etc. » Ces métaphores qui relèvent plutôt des règles de l'art, relèvent d'un langage commun utilisé au sein d'un collectif.

Cette question de la métaphore, nous la retrouverons dans les interventions de l'après-midi, lorsque Michel BALAT et Edwige RICHER, à partir de leur expérience au centre de médecine physique et de réadaptation de Château-Rauzé (33), évoqueront la reconstruction de l'existence après un coma traumatique prolongé : encore fallait-il, ce jour-là, pour qu'il puisse y avoir ultérieurement reconstruction, que quelqu'un ait remarqué que tel patient, lorsqu'on faisait irruption dans l'espace de sa chambre, se mettait à suer abondamment et en entendre quelque chose, de cette parole ainsi manifestée d'un sujet qui ne pouvait se manifester autrement que par cette métaphore, symptôme somme toute pas si corporel que ça, que le corps donnait à voir.

La matinée s'était achevée par une intervention de Marie-Noëlle DECORET, peintre/photographe, qui nous a dit vouloir travailler sur l'effacement, la disparition, le passage, à tel point que, travaillant sur un temps de pause très long, alors qu'elle photographiait de l'intérieur l'entrée d'un tunnel qui n'avait d'autre issue que l'ouverture qu'elle devait emprunter pour en sortir puis y revenir, au début et à la fin du temps que durait cette pause de plusieurs heures, aucune trace n'apparaissait de sa présence, fantomatique donc, sur le cliché qu'elle nous en projeta !

« Ce qui se fait de mieux, c'est tu…, nous disait Damien CRU, ou encore, c'est considéré comme insignifiant (hélas, pas comme un signifiant !), y compris par ceux qui le font ! ».

Comme aurait pu passer pour insignifiante cette sudation muette, dont l'entendement, par une oreille sans doute exercée à en invoquer la possible expression, a permis qu'elle soit déplacée (délogée !) de sa signification somatique d'origine, et puisse ainsi faire signe de … à quelque autre.

« Ce qui se fait de mieux, c'est tu ! », cette parole de Damien CRU fait retour sur l'intervention de Michel AMRAM, modèle de sobriété féconde. Il nous raconta comment Françoise DOLTO les avait dissuadés de trop communiquer sur le projet de La Neuville, qui n'est pas une école classiquement sous contrat, tout juste un lieu… un lieu où il y a de l'école, et où les adultes ont peut-être si bien travaillé à l'effacement d'une certaine image d'eux-mêmes (statut, rôle, fonction), que les enfants en sont devenus la deuxième équipe pédagogique, qui au demeurant aura un rôle important dans l'accueil des nouveaux adultes. «Faut pas la ramener… on n'existe pas… on existe pour l'Education nationale, mais on n'a pas de contrat. »

« Voyage au bout de l'institution » : lorsque l'école de La Neuville devient un temps nomade, pour une classe découverte en Corse, « un endroit beau ! » commente Michel AMRAM, « on devenait élèves, c'est vraiment là qu'on faisait école », comme si se faisait jour là-bas, une abstraction de l'école de La Neuville, plus vraie que La Neuville, en dehors de La Neuville.

Et puis, à l'approche de la JIG, cette phrase sur la responsabilité : « quand quelqu'un prend une responsabilité, à La Neuville, on ne passe pas derrière, parce que ça voudrait dire que l'autre ne l'a pas vraiment, cette responsabilité ! »

Et puis, il y avait aussi le lacanien de service, qui, me semble-t-il, dans toutes ces histoires d'effacement, comme en négatif au thème d'une journée qui s'intitulait JEUX DE CONSTRUCTION, a dû parler a un moment ou à un autre de signifiant en manque de signifié, ou bien j'ai rêvé !... C'est vrai après tout, comme le disait Michel BALAT : « à un moment, il y a quelque chose qui fait signe… encore faut-il lui laisser une chance de pouvoir faire signe. » Continuité des soins ou continuité du sujet ? interrogeait, paraît-il, Hélène CHAIGNEAU. Et si, que puisse advenir un signe du sujet tenait à ce que du signifiant ne soit pas indûment pré-occupé ?

Philippe Legouis (06/10/2014)




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