Le Conseil de classe, clé de voûte du système de fonctionnement de la classe, a lieu une fois par semaine ( le lundi matin en arrivant ) sur un mode très ritualisé et convenu, ou bien en urgence, en Conseil "extraordinaire" quand nécessité fait loi.
Instrument d'analyse et de décisions collectives, le Conseil est aussi un moment de langage important : il entraîne les élèves à parler, à se positionner en temps que sujet (moi-je) qui parle à un autre sujet (toi-tu) ici présent, de lui ou de l'autre sujet (il) présent ou absent. Le conseil apprend aussi aux élèves à agir en groupe, à réaliser, à prendre conscience de la force du groupe, à accepter les contraintes, à obéir à la loi.
Ce lundi matin 18 novembre, nous avons à l'ordre du jour : "notre comportement quand nous sommes avec Laurence". Laurence D. est l'aide-éducatrice qui travaille avec l'U.P.I.
Elle prend à certains moments de la semaine des élèves par petits groupes pour des activités d'arts plastiques ou d'informatique. Elle accompagne aussi les élèves en sport dans les classes où ils sont intégrés et travaille avec le professeur. Elle n'a aucun problème en E.P.S., par contre lorsqu'elle est seule avec eux, ils sont à la limite du supportable et de la correction. Elle en a parlé en classe et nous avons décidé tous ensemble qu'elle viendrait au Conseil suivant (en principe, elle n'y assiste pas) pour essayer de régler ce problème qui dure depuis le début de l'année et va croissant.
Les notes qui suivent sont la restitution des discussions de cette séance :
Les bureaux sont mis en rectangle afin que tous les participants se voient. L'ordre du jour est distribué par le Président de la séance précédente et lu à haute voix (2 élèves sont non-lecteurs). Cet ordre du jour a été fait le vendredi précédent, mais on peut ajouter des points à traiter. Aujourd'hui, dans " Ce qui ne va pas" est inscrit : " nos comportements avec Laurence en Arts plastiques".
Mme M. : Le Conseil commence ; c'est un Conseil difficile, je propose de prendre la présidence de la séance pour que vous soyez tous plus tranquilles pour parler.
Benjamin : Moi, je veux être président,
Mme M : Tu te sens capable d'être président et de prendre la parole en même temps ?
Ludovic : Non, pas toi, tu parleras tout le temps et tu feras mal le président,
Mickaël : oui, madame, ça va être le b…. ? pardon, mais il est pas prêt, il arrive cette année, il l'a jamais fait.
Mme M : M.et L. ont raison, il vaut mieux que tu attendes une autre séance.
Bernard : bon, oui il attend, allez on commence!
Benjamin : oui, je demanderai la prochaine fois si je peux.
Mme M : rappelle pourquoi Laurence est là, rappelle les règles du Conseil (on demande la parole en levant le doigt, on attend son tour, on ne crie pas, on écoute les autres) et demande qui veut la parole.
Blandine : y'en a qui se battent…
Sounda : Faissal et Karim ils arrêtent pas de se dire des gros mots. Y'a des profs qui les ont entendu en montant…
Karim : oui, Faissal me pince, il me fait mal
Mme M : Karim je t'arrête : nous ne devions pas parler de cela; mais si c'est important, nous pouvons le faire, si tout le monde est d'accord; nous parlerons après du problème avec Laurence.
Brouhahas, apartés…
Tous : oui, on parle de Faissal – ç'est important – ça "gonfle" - ça s'arrange pas – au contraire – on parlera des autres après …
Mme M. : tu es d'accord Faissal ?
Faissal : je m'en fous, moi, je m'en fous, je dirai rien, je parle pas.
Karim : Faissal, il me donne des coups de pieds, il dit que c'est pour s'amuser, qu'il est fort et qu'il fait ça au foot, comme ça avec ses jambes, mais moi il me fait mal.
Ludovic: c'est vrai, il fait mal, moi aussi l'année dernière, je l'avais dit au Conseil, vous vous en rappelez, madame, après, il s'était calmé; il veut toujours commander, c'est pour ça qu'il fait ça…
Blandine: pourquoi tu lui dis pas de se calmer ?
Karim : si je lui dis, il "s'engrène" vite, il se met en colère et il fait encore plus mal.
Laura : il est violent, Faissal quand il est énervé;
Mme M. : avec toi aussi Laura ?
Laura : non, pas avec les filles; - elle demande aux autres, qui répondent "non".
Un court silence, puis :
Laura : dans la cour, il danse, il fait Mickaël Jackson,
Émilie : il danse, les autres le regardent, les autres des autres classes;
Karim : oui, ils se moquent de lui, ça nous fait la honte;
Mickaël : oui, parce qu'ils se moquent pas que de lui, ils se moquent de la classe…
Karim :le problème, c'est que Faissal, il comprend pas;
Faissal : je comprends pas, je comprends pas, si je comprends, je comprends tout, moi !
Bernard : non, tu comprends pas, tu es content quand les autres rient, tu fais le beau, tu crois que tu es le plus fort, mais eux, ils se foutent de toi, tu entends pas ce qu'ils disent !
Émilie : et nous on est mal !
Mickaël : oui, parce qu'on en prend aussi pour nous, si y'en a un qui est c- - à l'UPI, les autres aussi; déjà qu'ils savent pourquoi on est là !
Mme M : bon, Faissal ne comprend pas donc il faut l'aider. Faissal tu veux parler ?
Faissal : moi, je parle pas !
Mme M. : tu es sûr que tu n'as rien à dire ?
Faissal : je veux pas parler .
Émilie : il veut rien dire parce qu'il sait qu'on a raison.
Mme M: je pense que vous avez raison ; je pense aussi que vous êtes capables, tous d'aider Faissal à comprendre qu'il doit changer; est-ce que vous pouvez proposer quelque chose ?
Ludovic : l'année dernière, quand c'était moi, on avait dit qu'on lui donnait une semaine et après ça allait mieux, on est toujours copains;
Karim : mais moi aussi, je suis copain avec Faissal, on fait le ramadan ensemble quand les autres sont à la cantine, je veux être son copain, mais ça gonfle qu'il fait mal et qu'il comprend pas.
Mme M : Faissal, est-ce que ce que tes camarades viennent de dire peut t'aider à améliorer (vous comprenez tous "améliorer"? (BF – nouveau - : "non",- explications) ton comportement?
Faissal : oui, ça va m'aider, j'ai compris…
Émilie : on n'a qu'à lui donner une semaine et on en reparle lundi le… ? quel jour on sera lundi ?
Bernard : et ben on sera lundi, banane !
Mickaël : lundi 25, on en parle lundi 25. Mais, qu'est-ce qu'on dit maintenant ?
Karim : oui, on écrit quoi, vous écrivez quoi ?
Mme M. : vous demandez une décision ?
Tous : oui !
Après un travail collectif de construction de phrases, nous arrivons à la décision qui figurera dans le C.R. du Conseil :
" Nous laissons une chance à Faissal. Nous voyons comment il se comporte dans la cour et avec Karim. Nous en parlons au prochain Conseil."
Le deuxième point à l'ordre du jour est : les difficultés que rencontre Laurence. dans son travail avec l'UPI à cause du comportement de certains élèves.
Laurence expose cela et cite nommément 2 élèves, Karim. et Mickaël
Karim : je sais, je fais le c-- …oh ! pardon je veux dire je fais… euh… je fais pas bien, mais quand même, moins que Mickaël.
M.P. : pareil, c'est pareil tu fais comme moi, c'est vrai, on en profite avec L. on s'engrène, on rigole, ben quoi, on peut bien rigoler !
Laurence : vous pouvez rigoler, bien sûr, mais vous, vous ne faîtes que ça et vous empêchez tout le monde de travailler. Pour moi, les séances d'Arts plastiques où vous êtes, sont l'enfer !
Ludovic. : pourtant, elle est gentille, L, c'est pas sympa ce qu'ils font avec elle…ils le feraient pas avec la prof., ils en profitent…
Émilie : tu en profites bien toi aussi Ludovic.
Mme M.: voulez-vous continuer à travailler avec L. par petits groupes, comme vous faîtes actuellement ?
Tous : oui… Brouhahas…
Mme M. : que proposez-vous alors pour arranger la situation ?
Brouhaha, tous parlent, se disputent.
Karim : Laurence, elle a qu'à donner des punitions, je sais pas moi, de la copie…
Mme M. reformule : 1er proposition : L. donne des punitions
Émilie . : Laurence nous fait changer de place,
Laura. : en A.P., on change de place tout le temps !
Sounda : ça servira à rien, madame, moi, quand vous me changez, je continue eh ? je continue !
Discussion, disputes, Émilie maintient sa proposition (2ème proposition)
Sounda. : Laurence nous emmène à la vie scolaire, (3ème proposition).
Pas de débats donc nous passons à la 4ème proposition :
Laura : Laurence donne une punition et met un mot dans le carnet pour les parents,
Discussion : Karim ne veut pas, il est très véhément et s'exprime très fort.
Faissal : tu as peur de ton père, tu as trop peur de ton père toi !
Karim : oui, je le dis, j'ai peur de mon père, je l'aurai le mot, je l'aurai, j'arrive pas … à mon comportement,… à changer quoi, à être comme il faut,… je l'aurai le mot, je vais pas être d'accord avec ça !
Mickaël : on est comme des c… ! Laurence, elle a qu'à mettre un mot sur le carnet, et elle nous emmène chez le principal; il signe le mot et après on le montre au parents ! (5ème proposition)
Après un silence :
Karim : il est fou, ce bouffon ! il l'aura le mot, il fait plus l'idiot que moi et il dit d'aller chez le principal!
Faissal : tu as pas peur Mickaël? tu as pas peur?
Mickaël : je sais pas, on l'a jamais fait ça, y'a des élèves du collège c'est comme ça pour eux; alors pourquoi ça serait pas pareil pour nous ?
Discussions, brouhaha, nous passons au vote : Mme.M. récapitule les 5 propositions. Laurence et Mme.M. expliquent aux élèves pourquoi elles ne votent pas. Les élèves peuvent voter plusieurs fois.
1er proposition : 6 voix
2ème prop. : 0 voix
3ème prop. : 4 voix
4ème prop. : 7 voix
5ème prop. : 9 voix
La 5ème proposition est adoptée, reformulée par Mme M. puis son auteur:
"Avec Laurence, en Arts plastiques, celui qui ne se comportera pas correctement aura un mot sur son carnet et ira chez le Principal qui le signera avant de le montrer aux parents".
Le Conseil est terminé
Le lundi suivant, toute la classe constatait que Faissal " était devenu sympa" et " souhaitait que ça dure".
En Arts plastiques, l'aide-éducatrice n'a pas toujours eu la paix mais a pu travailler avec les élèves dans un climat apaisé, les 2 leaders ayant complètement changé de rôles et choisissant d'exister en leaders positifs, qui aident les autres, moyen beaucoup plus acceptable par le groupe pour dépenser leur énergie.
Cette année, Faissal, arrivé à 14 ans à l'UPI, a quitté le collège pour entrer en apprentissage et en formation. Il touche un salaire, prend sa place dans l'entreprise où sa bonne volonté, sa facilité d'intégration dans les groupes et son écoute des autres (merci le Conseil) pallient à ses difficultés de compréhension, ainsi que dans le CFAS qui l'accueille pour sa formation où il fait preuve de facilités d'adaptation et de communication…