en classe d'espagnol (à partir d'un moment fenêtre ouverte aux Samedis de la PI en avril 2003)
Quand j'ai commencé à enseigner l'espagnol, je n'ai pas ressenti tout de suite la nécessité de pratiquer la PI. Il fallait à la fois que les conditions soient « favorables » à l'émergence de cette nécessité (avec l'apparition de difficultés) et à la possibilité de cette pratique (un remplacement long).
Je n'avais d'expérience de PI que dans le primaire, et j'y avais réfléchi, j'avais écrit, j'avais lu. Et suivi le séminaire de Francis Imbert. Donc, je me demandais comment adapter ces institutions de PI au secondaire. C'est ce qui a motivé ma venue aux samedis de la PI en 2001.
C'est là que, grâce aux ateliers, grâce entre autres aux témoignages de Sylvie, d'Armelle, et plus tard grâce aux membres de l'épi Les ados et la Loi, j'ai pu évoluer dans ma pratique.
Trouver des médiations
(…) La médiation, c'est aussi parfois l'écrit qui l'opère.
J'avais, dans une école maternelle du 93, ressenti l'effet produit par une affiche :
« Cette semaine, Yannick fait le facteur et Abdelkader range les jouets après le goûter. »
« Où l'écrit, ici, vient supporter la transformation d'une relation duelle en une relation triangulée. Le face à face entre l'enfant et sa maîtresse –ses impasses bouderies et refus-, se dénoue sous l'effet de cette inscription qui fait fonction de tiers. » (1)
Il semble que quelque chose de l'ordre du tiers, de la médiation de l'écrit, ait joué dans le dénouement, au double sens de fin et de résolution d'un nœud, du comportement problématique d'un élève au collège de Séné et de la relation lourde qu'il m'imposait par là-même.
Des responsabilités au collège
Pendant ce remplacement au collège de S., de la mi-mai à fin juin, j'ai commencé par introduire des responsabilités dans mes classes. Au bout de deux semaines, lors d'un conseil de responsabilités dans chacune des classes, j'ai proposé divers « métiers » qui me semblaient essentiels à la vie des groupes.
Après les avoir expliqués, écrits au tableau, je les ai proposés aux volontaires.
Certaines responsabilités comme escribir la fecha (écrire la date au tableau au début du cours), distribución de las fotocopias trouvent rapidement preneur, pour d'autres il faut avoir recours à la liste alphabétique et les attribuer à tour de rôle, car elles semblent moins attrayantes ou plus difficiles, comme ¿Quién falta ?, ¿ Qué hicimos la vez pasada ?. Certaines enfin sont convoitées par plusieurs élèves. On vote alors pour désigner le responsable. Ces votes à main levée sont rapides et ne donnent lieu à aucune contestation. Les résultats sont parfois inattendus. Je note au tableau les noms des titulaires et le secrétaire fait de même sur le cahier de conseils.
Au cours suivant, j'affiche dans la classe la feuille des « Responsabilidades » que j'ai saisie sur ordinateur. En face de chacune d'elles figure le prénom de celui qui s'en charge. Il y a donc 6 affiches de responsabilités aux murs de la classe.
Le premier conseil de l'une des 4èmes a lieu alors que Benoît est absent.
C'est un redoublant qui m'a dit : « Ça fait deux ans que j'y comprends rien à l'espagnol, c'est relou. » Son comportement est gênant pour le travail de la classe car il ne suit pas, parle avec son voisin ou, lorsque je lui fais une remarque, s'emballe dans un jeu de réponses systématiques (il cherche la faille) auquel je me laisse prendre parfois. Je sais pertinemment que cette relation duelle est une impasse. Aussi, parfois au lieu de lui faire une remarque, je me tais. Il semble alors désappointé, implorer presque une réprimande.
Comme il était absent lors du conseil, son nom ne figure pas sur l'affiche. Mais un jour quelqu'un l'y inscrit tout de même, en écrivant au feutre et en gros : « Benoît t'es moche ». Quelqu'un d'autre a rajouté : « Et t'es un gros con ». Je m'en aperçois après un cours. Je suis attristé que cette affiche, reflet d'une institution, ait été vandalisée. Je la décroche avec l'intention d'en imprimer une autre. Mais au cours suivant, je n'ai encore pas pu le faire. Les élèves remarquent bien sûr cette absence, et l'ambiance de classe est mauvaise.
Quand, pour le cours suivant, j'accroche la nouvelle affiche vierge de toute insulte à l'encontre de Benoît, celui-ci est médusé. Son comportement change du tout au tout. Il reste silencieux pendant tout le cours. Je suis moi-même étonné d'un tel changement.
La praxis.
Permettre aux élèves d'être présents dans la classe en tant que sujets.
(à B.) A mon arrivée dans cette école où j'effectue un stage en petite section, la première chose que je remarque, ce sont les étiquettes où figurent le prénom de chaque enfant et une photo de lui, disposées au-dessus de chaque porte-manteau dans le préau. Ce qui me choque en fait, c'est que quelques parents soient amenés à l'école avec leur enfant : quelques-uns sont aussi présents sur la photo qui devrait être uniquement celle de leur enfant.
Il y a vaguement l'impression d'un réel trop prégnant dans ces images que l'on donne aux enfants comme repère de leur identité.
Un soir, donc, je distribue aux enfants des étiquettes cartonnées où ne figurent que leurs prénoms (en écriture scripte et en lettres cursives), ce que je leur explique. Je leur demande ensuite de me dire s'ils reconnaissent un prénom, le leur, ou celui d'un autre enfant. Nous cherchons ensemble à trouver qui a l'étiquette-prénom de Kevin, dont j'ai affiché l'étiquette-photo-prénom habituelle à la vue de tous. Les enfants ne trouvent pas, mais l'un d'eux reconnaît son prénom, et jamais jusqu'alors je n'avais obtenu d'eux autant de sérieux et d'attention. Les baisers que les enfants m'offrent ce soir-là, comme pour me remercier - pensai-je alors-, beaucoup pour la première fois, donnent à penser qu'il se jouait là quelque chose de fortement symbolique. (1)
Subjectivation encore dans le cas de Joëlle, au collège de Loudéac, à la suite d'une coupure : « On s'en fout » :
La classe de 3ème A est l'une des plus agréables. Les élèves sont travailleurs, certains sont vifs, ils ont de bonnes relations entre eux, et je note dès le début qu'ils ont atteint un bon niveau en 4ème avec une prof qui était sans doute une bonne didacticienne. Deux élèves, cependant, posent problème : Joëlle et Martin. L'une et l'autre parlent à tort et à travers en cours, se répondent. Dès le premier conseil (15 septembre), Joëlle se joint à moi pour critiquer « ceux qui perturbent la classe et n'écoutent pas ceux qui ont la parole ». Martin me félicite parce que je fais beaucoup d'oral. Il ajoute, un peu verbeux : « Ainsi, on a une bonne compréhension et une bonne appréhension ». Je prends la parole pour critiquer « surtout Martin et Joëlle qui prennent la parole à tort et à travers et qui perturbent la classe. »
La classe continue sur sa lancée.
Elle demande que quelqu'un ait la responsabilité de distribuer les feuilles. Xavier propose que l'on vote. Martin et Didier sont choisis pour distribuer les feuilles pendant 15 jours.
Martin et Marie se sont faits remarquer lors du dernier cours. Martin est toujours à la limite du contrôlable. Aussi,je critique leur comportement le 13 octobre en conseil.
Martin, quant à lui, fait des excuses à Muriel pour l'avoir insultée lors d'un précédent cours.
Ce jour, je propose à la classe de ne faire le conseil que tous les 15 jours. La classe refuse.
Peu de temps avant la fin de ce remplacement, Joëlle prend la parole au Quoi de neuf ? et s'autorise à une rechute dans le sens du débit de parole. Elle nous raconte, de A jusqu'à presque Z, le film qu'elle a vu cette semaine-là sur M6. Il mettait en scène la relation farfelue entre un élève et son prof. Entre autres, l'élève donnait des conseils au professeur sur la façon de faire cours. Voyant que Joëlle ne résume pas, et continue à tout raconter, je lui demande de s'arrêter pour permettre éventuellement, aussi, à d'autres de prendre la parole.
Au dernier conseil, Joëlle, qui est présidente, demande à la classe « que tout le monde se taise pour l'avant-dernier jour ». Elle se fait très persuasive et tout le monde la suit.
La classe décide d'organiser une petite fête pour mon départ.
Le ¿Qué hay de nuevo ? institué dès septembre 2000 au collège de Loudéac, puis au collège de Séné permit à de nombreux élèves de « passer de l'imaginaire au symbolique » : de mettre des paroles sur des images. Peut-être remplit-il véritablement cette fonction à partir du moment où (à Séné) j'énonçai la règle du secret : ce qui se dit au quoi de neuf ? doit rester secret et ne pas passer les limites de la classe. Ce qui permet aux élèves de dire tout ce qu'ils ont envie de dire au groupe.
Ainsi, de mai à fin juin 2001, nous furent racontés les détails et les nombreux rebondissements de l'émission « Loft Story ». Nous savions qui était éliminé, qui resterait et à qui allaient les préférences de celui qui s'exprimait.
Un élève prit la parole pour dire : « Loana a un string léopard ». Il semblait que cette parole emportait avec elle tout un pan de l'imaginaire, peut-être encombrant, de cet élève. Aussi, il ne lui fut rien répondu, et encore moins, bien sûr, une quelconque parole moralisatrice. La phrase fut traduite, puisque le ¿Qué hay de nuevo ? doit se passer en espagnol (c'est, en deçà des processus de subjectivation, l'intérêt et la justification d'une expression personnelle en situation). Une élève demanda : « ¿Cómo lo sabes ? Lo he visto en una foto. » (Comment le sais-tu ? Je l'ai vu sur une photo.)
En 2nde 1 à M., les quoi de neuf ? sont le reflet de la préoccupation des élèves pour la situation internationale et principalement pour les attentats du 11 septembre et la guerre qui s'ensuivit.
Christian prit très tôt la parole pour dire l'horreur de ces attentats mais aussi pour critiquer la réaction de George Bush et des États-Unis : « George Bush ha hablado de una guerra. Yo pienso que no hace falta hacer la guerra por eso. » (George Bush a parlé d'une guerre. Moi, je pense qu'il ne faut pas faire la guerre pour cela.) Peu de temps après, alors que les bombardements américains sur l'Afghanistan avaient commencé, il déclara : « La reacción de los americanos es legítima. » (La réaction des américains est légitime). Il y avait donc bien eu évolution pour Christian. Était-il passé par les défilés du signifiant dont parle Jacques Lacan dans le commentaire du cas du petit Hans (1) : de « no hace falta » à « es legítima » ? On peut bien sûr voir ici la prise de conscience qu'il est parfois nécessaire de « faire la guerre » pour exister, dans nos vies de tous les jours, et ce que j'appris fortuitement sur Christian lors d'un conseil de classe fit résonner cette hypothèse : après une scolarité sans soucis au collège de L., il fit en troisième l'expérience de la drogue, conduit à cela par ses nouvelles fréquentations, et ses résultats scolaires en furent fortement dégradés. On l'éloigna de L. pour l'inscrire en seconde au lycée de M.. Il semble y avoir retrouvé un équilibre satisfaisant. Ses très bons résultats, notamment en espagnol, en témoignent.
Clovis, quant à lui, qui ne demande jamais la parole pour participer lors de l'étude d'un document et dont le niveau en espagnol est très faible, prend souvent la parole au quoi de neuf ? pour rectifier les comptes, les totaux donnés par ses camarades concernant le nombre de victimes des attentats ou des conflits armés : « No son 3500 muertos, sino 5000… ». Il s'attache à rétablir la vérité, froide, dont il a eu connaissance par la presse, témoigne de son intérêt pour l'actualité internationale et trouve ainsi une place, la sienne au début de l'année, dans la classe, celle de « comptable », que personne, du reste, ne conteste. Je suis, moi, comme les autres élèves, simple témoin de cette fonction que je ne saurais pas tenir moi-même.
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Au lycée…
J'ai continué par la suite à introduire des dispositifs de PI dans mes classes de lycée. En me faisant ces réflexions :
Il me semble que des responsabilités doivent, au lycée, engager l'élève dans la vie, non seulement de la classe, mais aussi de l'établissement, et aussi ouvrir la classe sur l'extérieur, y compris l'extérieur du lycée. Écrire des critiques de films pour le journal est un début. Organiser une sortie, un voyage, une enquête, coopérativement avec les élèves serait un moteur pour la prise de responsabilités diverses et exigerait une organisation différente du travail en classe. Le travail institutionnel ne se clôt pas sur lui-même : pour rester vivantes, les institutions doivent interagir avec le travail quotidien de la classe.
Une correspondance avec un lycée espagnol, qui n'a pas pu s'établir, aurait elle aussi ouvert la classe sur un autre et un ailleurs, impliqué les élèves et demandé une autre organisation pédagogique : écriture coopérative, individuelle, prises de responsabilités.
Il a fallu que je fasse mon premier stage de PI à Petit-Couronne à l'été 2002 pour que je mette en place un choix de texte(s) en seconde au Lycée de Cholet, dans l'optique de publier un recueil de textes en espagnol. Là encore, les enjeux symboliques étaient forts, forts en subjectivations.
C. ce 13 janvier 2004.
(1) Cf. F. IMBERT et le GRPI, (la médiation opérée par l'écrit), in Médiations, institutions et loi dans la classe, pp 60-63 et 52-53.
(2) LACAN J. La structure des mythes dans l'observation de la phobie du petit Hans, in Le séminaire, Livre IV- La relation d'objet, Paris, Seuil, collection « Champ freudien ».1994. J. Lacan commente ici la présentation d'un cas de phobie chez un enfant et son traitement psychanalytique faite par S. Freud dans Cinq psychanalyses. Paris. PUF.195