Paris. Une dizaine d'enfants sourds, classés irrécupérables Aucune langue -gestuée ou parlée-. La pulsion comme langage ; la violence comme unique décor.
Aucun travail de "civilisation" n'a, visiblement, opéré. Nous parions cependant que c'est possible. Age moyen des élèves : 7 ans. Didier fait exception du haut de ses 14 ans. Promis à l'hôpital psychiatrique, il a été soustrait à ce destin par Françoise EXERTIER, enseignante de cette classe qui l'accueillit sans coup férir.
Les lieux et moments forts de la classe, institués, sont nommés sur des cartons, ainsi que la date (aujourd'hui, avant, après) et le prénom de chacun de ces occupants de ce drôle de zoo. Et d'autres signifiants fondamentaux à disposition " oui, non ; d'accord ; responsable de ; bientôt ; conseil ; etc".
Dans un coin de la classe, un aquarium posé dans un lavabo. Deux poissons rouges inlassablement s'y poursuivent au fil d'imprévisibles arabesques.
Didier, 14 ans d'imbécillité donnée en spectacle, ne cesse de se servir de la baguette magistrale pour provoquer dans le bocal des accélérations tourbillonnantes à grand renfort d'éclaboussures. Et advint ce qui devait arriver : l'un des deux poissons se retrouva sur le flanc, asséché, raide mort, à un retour de récréation.
Mort provoquée d'un être vivant, objet de soins familiers. Consternation générale.
Marc, "responsable-poissons", se lève, blanc comme la craie qu'il saisit et trace d'une grosse écriture gauche au centre du tableau : LAV'BO NON !
Personne ne moufte. Silence que l'enseignante préserve. Pas d'autres mots, gestes ou commentaires y compris de Didier qui, à partir de ce jour commença à habiter le groupe-classe...
Entrée émouvante dans la parole humaine, naissance de la loi civile fondatrice autour de laquelle se construisit, des années durant, cette classe. Barre d'arrêt à l'illimitation, changement de sens. Le sujet, hors de lui, cause et "fait loi".
Michel EXERTIER