date : novembre 2009
En Belgique, la rencontre CGé - CÉPI ,
texte écrit par Noëlle De Smet, pour le "livre2", suite au Colloque sur Fernand Oury, organisé à Nanterre en nov 2008 par Jacques Pain. Le "livre 2" paraitra chez Matrice en 2011.
Faire partie de
Cgé[1] est-ce être partie prenante de la
PI ? Comment se fait-il que la
PI et les
Péistes prennent tant d'importance dans
Cgé ? De nouveaux membres et/ou permanents de
Cgé faisaient récemment part de ces remarques et questions : « Faire partie de
Cgé, prendre en main des pratiques propres à
Cgé est-ce nécessairement penser, agir en
Péiste ? Penser, agir en
Péiste c'est quoi ? » Si ces propos se disent, c'est que quelque chose un jour a été initié, s'est mis à l'œuvre, que d'aucuns ont découvert, pratiqué, investi, nommé. C'est que d'autres en perçoivent quelque chose… mais quoi au juste ? Pour tenter de saisir des tenants et aboutissants, il semble qu'une voie soit d'aller regarder dans l'histoire.
L'histoire[2] de Cgé
Pour commencer ! Pour nommer des origines, pour poser quelques repères, bornes et balises. L'arrivée de la PI, s'inscrivant comme une des étapes et/ou un des apports porteurs, dans ce chemin toujours occupé à se faire.
1970
Un profond malaise s'installe dans l'enseignement en Belgique. Déjà ! Les syndicats de l'enseignement sont vivement contestés et les politiques, dans leur majorité, ont d'autres chats à fouetter. Dans ce contexte, des enseignants soucieux de participation et de pluralisme décident de lancer un mouvement qui se veut à la fois groupe de pression sur les syndicats et le politique, et à la fois partenaire et acteur sur le plan pédagogique. Si le discours est daté, les revendications restent d'actualité : conditions matérielles insatisfaisantes (d'où revendications salariales) et « conditions morales » jugées inacceptables (être traités comme des exécutants, ne pas être associés aux choix pédagogiques...). Un manifeste, au printemps 1970, appelle parents, responsables politiques et enseignants à appuyer ces revendications pour un « enseignement de qualité » (plusieurs fois dans les textes fondateurs... vingt ans avant les slogans des mouvements de 1990-91 !), la Confédération générale des enseignants ou C.G.E. voit le jour.
1970-1971
Le manifeste est présenté aux quatre coins de la Wallonie et de Bruxelles et rencontre un franc succès : près de 15.000 adhérents au printemps 1971. Ce sont des enseignants issus de tous les réseaux
[3] et de tous les niveaux, de la maternelle à l'université. Mais il y a un revers à ce succès, le discours rassembleur qui se voulait « au-delà des idéologies » réunit des gens très/trop divers : certains veulent que la
C.G.E. devienne un super syndicat, d'autres rêvent d'un « ordre » des enseignants, d'aucuns plaident pour un mouvement pédagogique.
1972-1980
Au fil des années 70, c'est le courant « mouvement d'éducation permanente pluraliste », avec une priorité au pédagogique, qui s'imposera petit à petit du fait : des succès répétés des Rencontres pédagogiques d'été (RPé), de l'engagement dans le secteur de la formation continuée, des blocages persistants avec les syndicats (qui prétendent à un monopole de la représentation des enseignants).
Au tournant des années 70-80, la plupart des fondateurs (et adhérents) ont cédé l'outil à une équipe d'enseignants engagés en milieux populaires qui vont maintenir le pluralisme et donner une orientation nettement tournée vers les milieux défavorisés.
Il se caractérise par l'apparition du périodique Échec à l'Échec, les cycles Écoles, Crise et Immigration, des collaborations avec d'autres mouvements ou associations : Éducation populaire (Freinet), Le Grain, le MRAX (Mouvement contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie), la Ligue de l'enseignement...
1980-1990
Dans le courant des années 80, grâce à une stabilisation des objectifs et aux possibilités d'engagement des travailleurs, le mouvement peut développer davantage d'activités : un centre de documentation, des cycles de formation, l'essor des RPé, l'animation de groupes de réflexion avec d'autres acteurs sociaux, la production d'outils pédagogiques, de nombreuses publications, la participation à de nombreux colloques, la participation au démarrage des Zones d'éducation prioritaire (ZEP) et du travail sur l'interculturel.
Ces années ont été marquées par le développement d'alliances et d'initiatives avec d'autres groupes et mouvements progressistes hors écoles (Écoles de devoirs, CASI-UO (Centre d'action sociale italien – Université ouvrière), GFEN (Groupe français d'éducation nouvelle), Lire et écrire, Ligue des familles, CBAI (Centre bruxellois d'action interculturelle), le CÉPI d'alors... ). La réflexion sur les liens entre crise, situation dans les écoles et les quartiers populaires et politiques éducatives amènera la CGE à être un acteur et un inspirateur des grèves des années 90-91 et à prendre régulièrement la parole dans la presse.
C'est aussi dans ces années-là qu'au-delà des dimensions pédagogiques (les travaux avec Philippe Meirieu et d'autres, les recherches autour des pédagogies actives), s'affirment des dimensions sociologiques et sociopolitiques, (Bourdieu, Passeron, Establet, Dubet ne sont pas des inconnus) et s'amorcent des dimensions psychanalytiques ; elles nous sont venues via les composantes de la pédagogie institutionnelle et des rencontres avec les acteurs d'une institution pour enfants psychotiques et autistes, l'Antenne 110, en périphérie bruxelloise. (A. di Ciaccia, V. Baio, B. de Halleux). Ces différents porteurs des hypothèses de Freud et de Lacan ont ouvert au fait que le champ éducatif, le champ et le discours scolaires pouvaient être refondés à partir de la place à faire à la double dimension du «Sujet» et du «Désir». Certains se sont mis à travailler l'évitement des rapports duaux, la nécessité de faire intervenir du tiers et des médiations, les liens Loi-Désir, la place de la parole et son usage, la nécessité pour chacun de pouvoir prendre une place, toute sa place, pas toute la place, le fait de cultiver le désir de l'élève et par là de favoriser entre autres des émancipations individuelles et collectives, la prise en compte d'impasses, non pour en faire fi ou les éliminer mais en vue d'en faire des tremplins d'inventions. Et là, les apports du CIEN (Centre interdisciplinaire sur l'enfance, du champ freudien) sont encore un possible lien.
1990-2000
La CGE a poursuivi sa réflexion, ses formations et ses actions, à l'intersection des champs sociologique, pédagogique et psychanalytique (échec scolaire des classes populaires, mécanismes de reproduction du système, constructivisme, pédagogie institutionnelle, rapport au savoir, pédagogie du désir, prise en compte de la subjectivité...). Il faut signaler le pluralisme de la CGE, la volonté de travailler en dehors des piliers du microcosme belgo-belge et de ne pas privilégier une famille politique. Son souci d'indépendance a d'ailleurs été « cher payé » : refus de détachement pédagogique, méfiance de certains réseaux et syndicats, moyens très limités pour un travail considérable, … Mais quel gain en termes de militance !
2000-2010
Les enquêtes internationales du type PISA du début des années 2000 viennent confirmer ce que bon nombre d'acteurs et d'observateurs de l'enseignement savaient déjà, à savoir l'inégalité produite par notre système scolaire. Parallèlement à ces constats, un travail identitaire va s'opérer lentement sous l'impulsion de quelques militants, l'objet social va davantage s'affirmer dans le nom de l'association. Le mouvement devient
Cgé ou
ChanGements pour l'égalité, mouvement sociopédagogique
[4], le journal du mouvement est rebaptisé
Traces de Changements.
Cgé poursuit son rôle d'interface au sein de nombreux groupes d'acteurs éducatifs et contribue activement à la mise sur pied de la
Plateforme associative de lutte contre l'échec scolaire, massivement présent dans les classes populaires.
L'ancrage de Cgé dans l'éducation permanente (Ministère de la Culture) s'affirme davantage lors du passage dans le nouveau décret qui la régit. De nouvelles activités se développent et visent davantage à faire connaître Cgé à l'extérieur : création d'un site Internet, publication d'études, édition de livres au sein de la collection École au quotidien en collaboration avec Couleur Livres, publication d'une lettre d'information, organisation de journées thématiques. Le tout pour jouer aussi un rôle d'interface entre l'école et tout le monde associatif.
40 ans d'histoire déjà ! Nous les fêterons entre autres le 9 octobre 2010
L'arrivée de la PI dans la CGE[5]
En 1985, Claire Leytens alors formatrice à la
CGE, ayant lu
Collège faire face à la violence écrit par des
Cépistes[6] du secondaire prend contact avec Claire Colombier, alors professeur de psychopédagogie à l'
école normale de Bonneuil sur Marne, rend visite aux auteurs (Claire Colombier, Marguerite Perdriault, Gilbert Mangel) et leur fait une demande de formation.
La première action de formation se fait à Bruxelles.
Marguerite et Gilbert vont donc assurer une journée d'intervention à Bruxelles et faire connaissance avec l'équipe de la
CGE. Jacques Liesenborghs est alors Secrétaire général de cette association. Ils parlent des
Rpé [7] et forment ensemble le projet d'y inclure un atelier de pédagogie institutionnelle. Projet difficile à réaliser : le
CÉPI organisait alors des stages dont la durée habituelle était de huit jours, très difficilement compatibles avec une cohabitation avec d'autres types de formations.
Le premier atelier voit le jour en 1986.
Au CÉPI, Michelle Bérard accepte de relever le défi avec Gilbert Mangel. Ils inventent le premier « atelier de PI » dans les RPé et l'encadrent en 1986. Les participants comptent parmi eux plusieurs cadres de la CGE. L'intention affichée par le CÉPI, transmise par Michelle Bérard et par Gilbert Mangel est de former assez rapidement des cadres qui pourront prendre le relais.
Cependant plusieurs questions se posent.
Au sein du
CÉPI d'alors, pour être reconnu comme responsable dans un stage, il faut avoir été stagiaire au moins trois années et avoir participé en cours d'année à des équipes (
ÉPI [8]). L'atelier des
RPé est plus court, moins complet et moins complexe. La question de l'écriture est également en suspens : « Les praticiens de la
PI ne parlent pas, ils écrivent » disait Fernand Oury. Affirmation transmise mais difficile à appliquer.
Comment se situer par rapport au modèle de stage existant ?
Quelques réflexions s'imposent au sujet de l'organisation et du contenu de l'atelier en termes de stratégie de formation. La « machine » élaborée par Oury, puis par les GET, puis par le CÉPI, est à la fois complexe, complète, autonome. Elle s'accommode mal de « courant d'air », c'est-à-dire qu'elle fonctionne un peu comme une cocotte-minute. Or, dans les RPé, le cadre est préétabli par les organisateurs et non élaboré in situ par les responsables de l'Atelier de PI. Les lieux sont occupés par de nombreux ateliers, les rapports avec les stagiaires des autres ateliers sont inévitables. On joue dans un stage CÉPI sur les lieux, les statuts, les fonctions, les rôles. Impossible ici. Il fallait donc trouver des réponses structurelles à ces difficultés.
Quelques bons tuyaux et un déplacement de frontières
Le stage classique du CÉPI se déroule en internat, dans un lieu où souvent, il n'y pas d'autres stagiaires. Or les RPé permettent à qui veut de rentrer le soir chez lui. On y côtoie à table, au cours des pauses et des soirées, des stagiaires d'autres ateliers qui ne travaillent pas du tout le même sujet, et vers qui on peut « fuir », auprès de qui on peut « décompresser ». Pour rendre la formation PI efficace malgré cette particularité, les deux responsables innovateurs, Michelle Bérard et Gilbert Mangel, ont inclus, dans l'Atelier, des responsabilités de liaison avec l'équipe RPé. Il s'agit de canaliser les communications, de bricoler des tuyaux qui conservent l'énergie, qui évitent les pertes. De plus, ils ont décidé dès la première année, que la production serait diffusée auprès de tous les participants aux RPé. Enfin, ils ont parié sur le fait que l'attractivité de l'atelier serait plus puissante que les tentations de fuite. Et peu à peu s'est construite une image dans les RPé d'un Atelier PI dans lequel les stagiaires acceptent de faire beaucoup plus que ce qui serait habituellement demandé au départ. Image austère et un peu mystérieuse, attractive à cause de l'efficacité démontrée, repoussante par le caractère trop impliquant qu'elle peut donner. La pression nécessaire à une transformation n'est plus assurée par une étanchéité de l'atelier, mais par un ensemble plus complexe : l'étanchéité est, selon Gilbert Mangel, repoussée aux frontières des RPé.
Une adhésion en forme de cordon ombilical
A la fin de ce premier atelier à la Marlagne (à Wépion, Province de Namur), Michelle Bérard et Gilbert Mangel ont demandé et obtenu l'adhésion des participants à l'association
MPI - CÉPI [9]. En échange de quoi ceux-ci ont été tenus informés durant l'année, des activités
PI en France et abonnés au
BI,
Bulletin intérieur du
CÉPI. Cette liaison par cotisation n'a pas été renouvelée par tous. Quelques personnes ont maintenu leur adhésion et participé au Conseil annuel du
CÉPI, voire à des
Épis, entre autres par correspondance, puisqu'en Belgique un tissu d'accroche d'après stage n'existe pas alors.
Quoiqu'il en soit, cette adhésion a peut-être matérialisé la liaison nécessaire et provisoire à une source, à une entité riche de tradition et de forces peu à peu transmises sous des formes diverses. Un lien précieux et fragile, provisoire en tout cas.
Des suites insistantes et vigoureuses
Les années suivantes, l'atelier se tiendra très régulièrement, chaque année aux RPé. Irène Laborde l'assure avec Michelle Bérard en 87, 88, 89. Puis d'autres responsables s'y joindront épisodiquement. Bien souvent, des stagiaires français viennent également s'y former (il est arrivé qu'ils soient, en nombre, la moitié de l'atelier). Plusieurs ex-stagiaires en PI vont s'investir fortement dans le fonctionnement de la CGE. En particulier dans l'organisation des RPé. On parle beaucoup de la PI dans la CGE. On pratique dans les classes, ici et là. Pas seulement en primaires. Dans le secondaire aussi, et plus spécialement dans le secondaire professionnel. On pratique la PI entre adultes dans la CGE. Dans le journal de la CGE, encore appelé alors « échec à l'échec », de nombreux articles font écho des expériences des stagiaires qui écrivent à propos de leurs classes. Son comité de rédaction comporte une majorité de personnes ayant suivi des ateliers de PI.
Pourtant le processus de passage demande du temps
Une interruption des stages PI dans les années 93 et 94 laisse craindre un essoufflement. Peu de candidats, une perte d'enthousiasme ou encore, la difficulté réelle à assurer une telle formation quand on ne se sent pas assez fort, quand on est, pense-t-on, insuffisamment outillé. Ceux qui pourraient porter la PI expriment également leur manque de temps, de place, de moyens pour assurer à la fois les tâches que leur réclame la CGE et ce que suppose la formation et le suivi en PI.
Encore un effort
En 1995, lorsque Gilbert Mangel reçoit l'avis de recherche qui fait appel aux candidats formateurs RPé, il consulte Michelle Bérard et à deux, ils se proposent de relancer la machine à la condition qu'une équipe belge prenne le relais. C'est dans cet esprit que les ateliers 95, 96, 97, 98 sont menés, donnant des responsabilités à ceux qui parmi les anciens stagiaires avaient poursuivi leur cursus, y compris dans des stages CÉPI, en France. C'est ainsi qu'en 1996, Noëlle De Smet est responsable dans le stage avec Michelle Bérard et Gilbert Mangel. Ils mènent à trois un stage préparé à Metz et qui comprend une vingtaine de participants belges et français. En 97, suite à un moment fort de passage de témoin qui a eu lieu à Bruxelles (voir paragraphe suivant), l'équipe de responsables est dirigée par Noëlle De Smet. En font partie, Françoise De Burges, Martine Dufrasne et Raoul Fontaine. Gilbert Mangel est encore présent… comme « pompier » au cas où… se tenant très à distance… écrivant, entre autres ! En 98, Noëlle De Smet est à nouveau responsable de l'atelier. Dans son équipe, l'épaulent Raoul Fontaine, Jacques Cornet, Gilbert Mangel.
Le suivi s'organise
Il faut noter que le passage dans l'atelier n'est ni automatique ni irréversible. En 98 par exemple, Martine Dufrasne et Françoise De Burges décident en accord avec l'équipe de responsables dont elles faisaient initialement partie, de participer, comme stagiaires, avec le groupe Bulle qui se donne pour objectif d'écrire sur le « passage » (c'est dans ce groupe que fut écrit la plus grande partie de cet extrait L'arrivée de la PI dans la CGE).
Dès 1996, des réunions après stage se tiennent en cours d'année, et ce conformément aux décisions prises… par le Conseil annuel du CÉPI en France. La filiation est très claire pour les participants, informés par les responsables : ils relient leurs pratiques et leur formation à la PI du CÉPI.
La venue de Michel Exertier à plusieurs réunions de suivi en Belgique, revêt un caractère de lien très important pour tous ceux qui, en l'écoutant à Bruxelles, se rendent compte de l'existence d'un langage commun et de références partagées. C'est lors d'une de ces rencontres et en présence de Michelle Bérard, de Gilbert Mangel, des premiers stagiaires et responsables dans les stages PI belges qu'à la question de savoir qui prendrait la responsabilité du prochain stage de 97, Noëlle De Smet s'est proposée… avec quelques craintes, quelques timidités et… poussée par un fort soutien de tous les présents, plus spécialement de ses responsables de la première heure, Michelle Bérard et Gilbert Mangel.
Trois Épis fonctionnent en Belgique à ce moment-là, selon les mêmes règles que celles du CÉPI. Seule différence : leur attache est la CGE.
E la nave va
Elle est souvent présente dans les stages l'image du bateau !… Sans doute pour son côté à la fois solide et fragile, à la fois mouvant et demandeur de temps, pour ses équipages et ses capitaines, pour sa navigation à vue et/ou avec cartes, boussoles et phares… en tout cas pour ses voyages et ses cargaisons !
Aujourd'hui le bateau PI vogue toujours à l'intérieur de Cgé. Des stages PI se sont poursuivis chaque année, depuis 1998, sauf en 2005, avec Noëlle De Smet jusqu'en 2002, puis Jacques Cornet, Eric Van den Berg, Raoul Fontaine, Claudine Kéfer comme responsables de stages, avec des équipes où se sont trouvés comme responsables dans le stage, au fil des années, Isabelle Berg, Martine Chevalier, Pascal Collet (de Lille après ses stages TFPI), Françoise De Burges, Alain Desmarets, Thérèse Diez, Martine Dufrasne, Bernadette Dupont, Philippe Jubin (de la région parisienne), Nicolas Lakshmanan (de Rouen), Stéphane Lambert, Michel Staszewski.
Comme les stages ne laissent pas indifférents, parce que les stagiaires s'essaient, se questionnent, pratiquent la PI dans leurs divers lieux de travail, se retrouvent régulièrement, une organisation se fabrique au fil des nécessités, besoins, opportunités, désirs.
Filiation et autonomie
Des contacts se maintiennent avec les membres du CÉPI en France. Ils se traduisent par la présence de Cépistes belges disponibles au Conseil annuel du CÉPI ou par des échanges plus informels. Les Conseils annuels se décentrent. Ils se tiennent à tour de rôle dans les différentes régions dont la Belgique. Il s'y décide des modalités d'organisation commune par exemple quant à la fabrication du Bulletin intérieur et de Paysages (qui chaque année reprend les meilleures pages des Bulletins intérieurs) pour lesquels chaque région prend sa part annuelle. C'est lors d'un Conseil dans les Ardennes belges que la décision est prise de nommer le CÉPI, CEÉPI comme Collectif européen d'équipes de pédagogie institutionnelle, ce qui dit le lien France, Belgique et Suisse, à l'époque.
Les
Péistes menant leur vie en Belgique, le temps n'étant pas élastique et les moyens de communication électronique comblant un peu les distances, les rencontres instituées possibles ont lieu trois fois par an mais des contacts et des échanges se font aussi, selon les envies, volontés et possibilités de partage. On pourrait dire « filiation » et « fraternisation de compagnons de route », ces derniers mots-là venant à l'esprit, par exemple à propos d'échanges de (et entre) responsables pour les stages, et notamment à propos d'une entreprise de taille menée par quelques
Péistes dans une
Haute École liégeoise de formation de maîtres
[10] ; en effet, les auteurs du projet ont voulu se donner un
Comité d'accompagnement au sein duquel travaillent deux membres du
CEÉPI, l'une française d'Isère, Irène Laborde, l'autre belge, Noëlle De Smet.
Un élément institutionnel porteur
Qui va où ? Qui fait quoi ? Comment s'organisent ces Péistes à la fois de Cgé et en lien avec le CEÉPI ? Cgé fonctionne désormais avec neuf permanents (deux plein-temps et sept à temps partiel) et une cinquantaine de volontaires (c'est désormais la dénomination officielle). La plupart font partie d'une des équipes de Cgé : l'équipe RPé, l'équipe Traces de changements, l'équipe Politique, l'équipe Formation, l'équipe Gestion et font ainsi d'emblée partie de l'Assemblée générale souveraine. La PI a pris fortement place dans Cgé pas seulement via les stages annuels de l'été mais pendant toute l'année, en termes de demandes de formation, en termes d'acquisition de livres présents au Centre de documentation (tous ceux de la PI y sont, de Fernand Oury, Aïda Vasquez, Catherine Pochet, René Laffitte à Francis Imbert en passant par Jacques Pain, Chantal Costa, Bruno Robbes et les autres), en termes d'écriture de pratiques dans le journal de Cgé ou ailleurs et aussi en termes de pratiques internes, entre adultes, appuyées explicitement sur une éthique puisée dans cette PI. Des Péistes ont donc demandé d'être reconnus comme une des équipes de Cgé, « l'équipe PI », dans les années 1999-2000. Quand on disait que les Péistes menaient leur vie en Belgique… !
L'équipe PI dans la CGé
Font partie de cette équipe cinq ou six volontaires qui ont fait au moins deux stages. Cette équipe a un représentant au CA de Cgé, peut budgéter des activités pendant l'année, ses membres peuvent bénéficier d'un petit défraiement pour leurs frais de déplacements ou autres et elle a pour mission d'organiser des activités de PI en Belgique francophone via Cgé.
Les membres de cette équipe étant souvent par ailleurs également actifs dans d'autres équipes proposent, par exemple, deux « journées P.I » par an, l'une à Bruxelles, l'autre à Liège Ces journées sont construites autour d'un thème. Y sont invités les participants aux stages des 5 dernières années avec un écrit sur leur classe ou leur groupe, en lien avec le thème retenu (responsabilités, temps, conseil, audaces ou autres). La richesse (mais aussi la difficulté et la nécessité d'inventer) de ces rencontres des Péistes liés à Cgé réside dans le fait de leur présence en des lieux divers : classes de maternelle, de primaire, de secondaire mais aussi enseignement supérieur pédagogique, écoles de devoirs, groupes d'adultes en alphabétisation ou en activité d'éducation populaire. A ces journées nous sommes de quinze à vingt-cinq présents, pas toujours les mêmes.
Cet épi travaille aussi, depuis son existence à trouver des modalités de réponse à diverses demandes : présence dans un épi de base qui demande de travailler des textes fondateurs avec des responsables, construction de moments de formation autres que les stages, conférences, écrits. C'est ainsi que des moments de formation conçus sur quatre jours et pas toujours en résidentiel ont été imaginés et pratiqués, donnant envie à des participants de s'inscrire, par la suite, qui dans un épi, qui dans un stage long. S'appuyant sur ces portes d'entrée autres que les longs stages, l'un ou l'autre a aussi mis en place des accompagnements d'équipes, principalement dans des écoles de devoirs. Ces accompagnements se font tout au long de l'année à raison d'une rencontre par mois : au fur et à mesure des situations amenées, des demandes faites par les animateurs, se construisent des dispositifs nourris de PI et s'élabore de la théorisation.
C'est aussi dans cette équipe que se parle, se travaille, se décide l'organisation des stages d'été : désire-t-on organiser un stage PI ? Qui se propose comme responsable (sur base du cursus), quelle grille de stage, responsables, quelles problématiques travailler…
Et enfin, pour continuer à se nourrir en tant que responsables, des moments tantôt chantiers ou tantôt séminaires se fabriquent autour de sujets qui questionnent : la grille de stage, les ceintures, le transfert, le désir de l'enseignant. Une intention actuelle est de travailler chacun des pieds du trépied : le pédagogique, le sociologique, le psychanalytique et le politique à partir des pratiques et avec apports de personnes de l'intérieur ou de l'extérieur.
Que conclure quant à l'impact de la PI dans Cgé aujourd'hui ?
Tout ce parcours fait office d'histoire mais pourrait aussi servir peut-être d'ébauches de réponses au questionnement posé en introduction.
Cgé est un mouvement dont les choix sociopolitiques (et donc aussi pédagogiques) se sont affinés au fil des années, des analyses, des prises de conscience, des luttes, des engagements aux côtés des classes dominées
[11]... Ce mouvement s'est inscrit dans une lignée et des filiations, patrimoine précieux, des Freinet, Wallon, Oury, Freire, aux choix et combats sociopolitiques et pédagogiques proches.
L'école caserne de Fernand Oury n'est pas si éloignée des nôtres à Molenbeek ou à Marchiennes au Pont… Terrains et terreaux proches. Observations, interrogations, révoltes et créations nourries de ces pères et repères… Ces pères qui ont fait mouvement, fortement. C'est dans la lignée de ces mouvements que s'inscrit aussi le nôtre,
Cgé. Souci d'émancipation
[12], comme eux, avec eux, tant pour et avec les élèves dans les classes, les adultes dans les groupes d'éducation permanente que pour soi, dans certains réflexes normatifs et prisons mentales liés au métier d'enseignant. Et sous le tout, aussi la question « Qu'est-ce que je fous là ? »ou encore « Qu'est-ce qui me pousse à me mettre à cette place, d'enseignant, de formateur ? ». La
PI est dans
Cgé. Desracines, perçues, reçues non pas monopolistiques, mais fortes : des points d'appui.
Mais alors qu'est-ce qui de la PI fait points d'appui pour notre travail dans les groupes, qu'ils soient des classes, des groupes d'adultes ou notre association elle-même ?
De l'élémentaire sans doute, pour commencer, comme par exemple l'attention aux matérialités : la place des objets, la disposition des lieux, les accès aux choses (quand et par qui, et à quelles conditions), la délimitation des lieux et des temps, tous aspects extérieurs visibles auxquels il est question de porter soin non pas pour eux-mêmes mais pour l'effet d'une telle rigueur sur ceux qui en feront usage. Pas toujours facile à tenir d'ailleurs cet élémentaire !
Aspects extérieurs et matériels visibles ensuite auxquels il n'est possible de porter soin que si des personnes en sont responsables, que si les responsabilités sont reconnues, que si les fonctions sont distinguées et que si les lieux où porter demandes, plaintes et propositions sont institués, habités, garantis… La PI n'a sans doute pas le monopole de ce type de préoccupation mais elle frappe cependant les participants à des stages PI dans Cgé. C'est sans doute parce que, dans d'autres formations, leur attention n'a pas été attirée sur ce qui, ailleurs, peut être pris pour détail négligeable (c'est très souvent le cas dans les écoles) ni sur le lien entre ce soin du milieu et ses effets sur les personnes qui y travaillent. Sans doute aussi parce que les idéologies qui traversent les courants sociopolitiques et pédagogiques ne se traduisent pas nécessairement dans le réel des fonctionnements.
Cette apparente petite porte des matérialités ouvre sur une éthique. Ainsi mettre en place des conditions pour que personne ne soit laissé de côté, c'est porter attention et aux conditions et à ceux qui nous importent dans notre travail : tous et plus spécialement les élèves les plus en retrait ou les plus dominés (ou même les plus dominants !). En même temps, c'est souligner la place faite au Sujet en PI, au Sujet de l'Inconscient y compris donc à ce qui échappe, y compris à l'insupportable. Et cela, non pas avec intentions, charité, discours mais par la mise en place de lieux, temps, modalités à inventer chaque fois, qui pourront faire en sorte que chacun trouve de quoi accrocher son désir.
Ce sont quelques techniques, quelques outils, qui aident et dans les classes et dans l'association d'adultes, à se donner un fonctionnement collectif où chacun trouve et prend sa place. Mais ces médiations ne feraient pas si long ni si fort feu, elles ne pourraient s'inventer selon les contextes, si elles n'étaient pas l'expression d'une éthique.
L'éthique c'est, entre autres, l'élaboration d'un cadre qui permette à toute personne d'être debout. C'est d'inclure, dans l'élaboration du cadre, la possibilité d'en sortir et de faire de l'exception, du « un par un », quand les subjectivités de chacun peuvent l'emporter sur des normes, quand on cherchera par exemple pour telle personne de la classe ou du groupe, quelles inventions institutionnelles pourraient lui permettre à la fois de fonctionner selon ses modalités propres ET d'être dans le lien social ou de trouver des voies pour y entrer. C'est aussi du formel pour que le pouvoir ne « traîne pas par terre » quand le flou institutionnel est trop grand ET des possibilités de transgresser avec des raisons humaines qui peuvent être supérieures aux règles et dé-rangeantes.
Cependant cela n'est possible que lorsque des balises et de la loi (plutôt que du caprice, du bon plaisir, de la prise de pouvoir des uns ou des autres) permettent de se sentir en sécurité, y compris pour ses faiblesses, et que d'aucuns s'en fassent, quand à tour de rôle ils peuvent prendre cette fonction, les garants inconditionnels.
C'est ce qui fait une originalité et un paradoxe de cette rencontre Cgé-PI : à la fois une lignée, des choix sociopolitiques comme une bannière ET de l'invention en lien avec les possibilités de présence de chaque un… Ces deux tenants permettent de mettre le travail au centre, de travailler le milieu, de ne pas intervenir en direct sur les personnes et de ne pas les déposséder d'elles-mêmes. Les rapports humains et les rapports de travail s'en trouvent changés, humanisés.
« La
PI permet de construire de la démocratie » disent certains… Oui, mais « dans ses profondeurs », disait un autre… dans une reconnaissance des inégalités, à l'inverse d'idéalismes naïfs du type « on est tous égaux », si peu respectueux « des moins égaux que d'autres ». Ainsi que dans les inventions qui permettent et de vivre l'inégal et de passer des paliers de façon protégée, par exemple via les ceintures, semblables à celles du judo, inventées par Oury ou via les prises de responsabilités. Autre chose donc que de « donner la parole à tous » et puis de voir que ce sont quand même les plus forts qui toujours la prendront ! Autre chose, de parfois modeste, qui
gît dans les détails [13] quand par exemple tel jeune qui n'a jamais encore pris de responsabilités dit un jour au
Conseil : « Je serai responsable tableau le lundi », qu'il le dit le 15 juin et que son enseignant
Péiste y voit une avancée formidable.
C'est tout cela qui parle à ces Péistes et à leurs compagnons de route quand ils continuent à tenter de lire ce qui se passe dans leur classe, dans leur école, dans leur groupe, dans l'association et à chercher comment procéder pour tenir des positions éthiques, pour se soutenir entre autres des liens possibles entre les apports du pédagogique, du sociologique et du psychanalytique qui sont une spécificité de la PI. Ces Péistes et leurs compagnons de route qui sont sans doute aussi devenus, pas toujours très consciemment, un bout de sol dans Cgé comme une sève, ténue et précieuse dans ses veines.
Noëlle De Smet
[1] CGE puis
Cgé : Confédération générale des enseignants puis
ChanGements pour l'égalité ;voir paragraphes suivants
[3] Trois réseaux en Belgique : le
réseau de la Communauté française ou réseau officiel, le
réseau communal, le
réseau libre, confessionnel ou non confessionnel, tous deux réseaux subventionnés. Les trois réseaux sont soumis aux programmations de cours officielles mais ils les traitent chacun selon leurs spécificités pédagogiques, les enseignants des trois réseaux sont payés par le Ministère. Leurs écoles ne sont pas privées au sens où les parents paieraient les enseignants.
[4] Une référence « socio » qui n'exclut ni le « psycho » ni le « psycha » mais qu'on a voulu mettre plus fortement en avant parce qu'elle est souvent oubliée, y compris dans les intitulés des formations « Psychopédagogie » alors que le socio marque pourtant fortement les scolarités.
[5] La grande partie de ce passage
Arrivée de la PI dans la CGE est un écrit de Gilbert Mangel rédigé lors d'un stage, en 1998 en vue de poser les jalons de
PI en Belgique,
PI apportée par le
CEPI.
[6] du
CÉPI :
Collectif d'équipes de pédagogie institutionnelle, créé en 1978, à la suite des GET de Fernand Oury, devenu dans les années 90 « européen » :
CEÉPI, voir le site
ceepi.org.
[7] Rencontres pédagogiques d'été : stages de formation ayant lieu chaque année en août et proposant une quinzaine d'ateliers les plus divers pour nourrir la réflexion pédagogique et promouvoir une pédagogie de la réussite.
[8] ÉPI :
Équipe de pédagogie institutionnelle, réunion de praticiens qui se déclare au
Conseil, décide de manière autonome de ses objectifs de fonctionnement. Certaines sont centrées sur le travail de reprise de ce que chacun a fait en classe. D'autres assurent le fonctionnement du
Collectif (
bulletin intérieur, stages, chantiers d'écriture).
[9] MPI -
CÉPI : l'association légale sur laquelle s'appuie le
CEPI, se nomme
MPI, Maintenant la Pédagogie Institutionnelle, d'après l'ouvrage éponyme publié en 1978 chez Hachette.
[10] Voir dans le présent ouvrage, la contribution de Claudine Kéfer, «
Tenter Plus »
[11] Certains ne (se) reconnaissent pas (dans) ces termes et parlent aujourd'hui, de milieux défavorisés, de milieu populaire ou même d'écoles noires et d'écoles blanches mais la réalité de classes sociales aux positions, conditions, consciences propres reste d'actualité.
[12] Ce mot là pour son sens de «sortie de domination », chemin vers libérations et libertés… résumé de toute une entreprise où se lient le collectif et l'individuel.
[13] Référence au titre du livre de Marie Depussé,
Dieu gît dans les détails, Paris, POL 1993, à propos des pratiques de psychothérapie institutionnelle à la clinique de La Borde où travaille Jean Oury depuis plus de 60 ans.