Fred Grassin, Cognin Les Gorges :
Nous avons commencé les lettres collectives et constitué les binômes par échange de courriers, la communication par courriel étant défectueuse.
Nous avons décidé de ne pas faire de rencontre, Vincent partant en classe de mer en novembre et moi en classe verte en mai…
Mon bilan :
Les difficultés :
- Très vite, les correspondants ont envoyé leur journal, une cassette, leur émission de radio… Et je me suis retrouvé en décalage parce que nous n'avions pas de journal, pas l'habitude d'enregistrer sur cassette et pas le matériel adéquat, bref le sentiment de plutôt reproduire ce que les correspondants nous envoyaient plutôt que de produire de l'original…
- Je n'avais pas l'habitude de cette forme de lettre collective : avant, nous faisions une grande lettre : toute la classe participait à la réalisation idées, rédaction des brouillons, confection des affiches et rédaction finale, avec un accent mis sur la classe et peu sur l'extérieur. Pour le format choisi avec Vincent, il ne fallait pas investir toute la classe en même temps mais constituer un petit groupe de travail. J'ai rectifié le tir un peu tard, pour les 2 dernières lettres. Je pense que j'aurai dû définir (avec ou sans les élèves) des thèmes pour chaque envoi
collectif.
- La correspondance doit être au cœur du travail de la classe : pour moi cette année elle ne l'était pas totalement. D'autres projets ont pris de l'énergie (prix des incorruptibles en littérature, préparation de la classe verte…) et du temps. Je n'ai pas pris assez le temps de réfléchir à la manière de faire, de réguler au cours de l'année, de communiquer avec Vincent. On est embarqué dans le quotidien et tout passe si vite… De plus, inconsciemment, sans perspective de rencontre, il manque un aspect important de la correspondance.
- Je n'ai pas réussi à tenir les délais, surtout pour les lettres collectives, envois 1 à 2 semaines en retard.
- J'ai été confronté pour la première fois (en 3 ans de correspondance) à un élève qui n'avait pas envie d'emblée de correspondre… Ça m'a étonné et je n'ai pas encore compris pourquoi (mauvaise expérience de ses cousines, au départ correspondant fille mais on a échangé, il n'a pas accroché avec son correspondant, il n'a pas accroché avec la classe institutionnelle tout court…).
Les points positifs :
- Il faut vivre ces moments où le courrier (collectif et individuel) est ouvert en classe pour comprendre l'apport de la correspondance à la classe : excitation, attention, émerveillement… Engagement dans la réponse et dans l'écrit. Un formidable moteur pour s'exprimer : cette année, avec la cassette, ce n'était pas seulement de l'écrit.
- Avec les textes libres et le choix de textes, je n'ai pas trouvé d'autre « piège à désir » aussi puissant pour motiver l'écriture et le soin à apporter à son écrit.
L'ouverture que ça crée chez des enfants qui pour certains vont peu en ville et n'imaginent pas ce qu'est la cité. Et en retour sont étonnés des questions des correspondants, soit parce que leur univers leur paraît évident, soit parce qu'ils n'ont
jamais réfléchi à ce qu'on leur demande :Pourquoi les arbres sont alignés chez vous ? Vous habitez tous dans des villas ? Nous on ne fête pas Noël.
Bousculés par les autres (l'autre) dans ce qu'il a de différent, ils les interrogent cependant en fonction de leur propre univers : commun à l'enfance (histoires de Diddl, d'animaux, de jeux vidéo…) ou particulier à leur culture :
est-ce que tu connais les pizzas ? de la part d'un fils de pizzaïolo, est-ce que tu as une piscine ? cas de plusieurs élèves de la classe, est-ce que tu dors tout seul dans ta chambre ? de la part d'une correspondante de Toulouse, quelle est ton origine ? dans la classe, personne ne se pose cette question même s'il il y a des origines différentes.
- J'ai découvert aussi une autre forme de correspondance que celle que je pratiquais, je garde cet acquis pour les prochaines.
- C'est riche aussi de correspondre avec la classe de quelqu'un qu'on connaît peu mais de la même « famille ». Toute mon admiration à Vincent pour son travail en ZEP, je me sens un peu petit, et privilégié dans ma campagne tranquille.
Cette année, j'ai besoin de faire une pause, on verra l'an prochain pour recommencer une correspondance. »
Septembre 2005, Fred Grassin
Texte envoyé à Fred Grassin par Vincent Bordeneuve, publié avec son aimable autorisation.
« Toulouse, le 28/10/05,
Cher correspondant,
Notre correspondance est officiellement terminée depuis le 14 juin, dernier envoi à Cognin les Gorges et si une rencontre était impossible avec les élèves, je suis heureux d'être accueilli en Isère par MON correspondant à l'occasion du Conseil du Ceépi. Je ne me serais peut-être pas déplacé si nous n'avions pas eu cette correspondance l'an dernier.
Tu me proposais d'écrire un bilan sur notre correspondance qui ferait suite au bilan que tu as déjà écrit.
Alors voilà :
D'abord le contrat : il était affiché dans la classe, de même que le planning des envois, ce qui nous a été très utile pour tenir nos engagements. Notre responsable correspondance, Romane, ne plaisantait pas avec les dates et plus d'un s'est fait remonter les bretelles. C'est elle qui envoyait les colis avec l'argent du journal. (Yohan, le trésorier ne plaisantait pas avec la facture que Romane oubliait assez régulièrement !...)
J'ai eu un peu l'impression de t'imposer ce contrat, notamment le planning que tu trouvais serré. On a dit : « On essaie » et finalement, on l'a tenu.
J'ai fait de la correspondance une priorité. C'est Nathalie, une ancienne correspondante qui me l'avait dit, en me reprochant parfois la lenteur de nos réponses : « Nous, dès que le courrier arrive, on arrête tout et on se met au travail, on écrit aux correspondants. » J'ai depuis, sauf cas exceptionnels, essayé de me plier à cette règle, bien qu'il y ait mille priorités dans une classe.
Parce qu'il y a plus que du papier derrière cette enveloppe et ces timbres colorés. C'est un cadeau et puis c'est pas un manuel scolaire, c'est du direct, du main à main et c'est fait pour « nous » seulement, « notre » classe et chacun d'entre nous.
Ça ne va pas tout seul.
Au début :
« Je sais pas quoi écrire… » En effet, que dire à un étranger ?
Et peu à peu, cet étranger devient familier. Je retiens ta phrase : « On se connaît peu mais on est de la même famille »
Avant que le correspondant devienne « mon » correspondant avec un nom bien à lui, il faut plusieurs lettres (d'où un planning serré qui permet de garder le contact, de ne pas trop étirer dans le temps, des réponses qui demandent une certaine « réactivité » (je n'aime pas trop ce mot mais c'est le seul qui me vient) pour être efficace.
Et puis après, y a les critiques : « il écrit mal… », « il écrit pas beaucoup… », « il redit toujours les mêmes choses… » « T'as qu'à lui dire… » lance Dolorès.
Parfois la colère :« Quand c'est qu'ils vont nous écrire les correspondants ?... »
Et puis la joie : « Mon correspondant a un chien… », « il est italien… », « il m'a envoyé un Diddl… »
Alors, on demande (parfois beaucoup !) « Donne-moi…»,« Peux-tu m'envoyer…»
Et je me rends compte que ces réactions, je les ai moi aussi éprouvées vis-à-vis de mon correspondant.
J'aime beaucoup cette effervescence de la découverte de l'autre qui se cache sous une enveloppe. Personne n'est insensible à ça. Et personne ne réagit de la même façon.
Après, ce qu'ils en font ? Ce qu'il en reste ? Ça, je dois encore le travailler.
Et puis, c'est drôlement joli comme endroit Cognin les Gorges.
Merci les correspondants. »
Vincent