Histoire : Il y a 70 ans, la naissance du POUM
18 octobre 2005
Le Parti Ouvrier d'Unification Marxiste (POUM) s'est constitué le 29 septembre 1935 suite à la fusion entre le Bloc Ouvrier et Paysan (Bloc Obrer i Camperol ,BOC) et la Gauche Communiste d'Espagne (Izquierda Comunista de España, ICE). Au début des années '30, ces deux organisations avaient rompu avec le communisme « officiel », en opposition à la dégénérescence de la révolution russe. Ils se réclamaient ainsi de l'héritage révolutionnaire, internationaliste et démocratique de la Révolution de 1917. Le BOC était parvenu a devenir le parti politique ouvrier le plus important en Catalogne pendant les premières années de la République instaurée en 1931. Mais il n'a pas pu contre-balancer l'hégémonie sur les masses des deux grands courants catalans de l'époque : l'anarcho-syndicalisme et le nationalisme de gauche. Contrairement aux autres organisations ouvrières, le BOC défendait l'importance d'une alliance entre les paysans, les mouvements de libération nationale et la classe ouvrière - sous la direction de cette dernière -, afin d'ouvrir la voie à la révolution sociale. Il a également joué un rôle premier dans la création des Alliances Ouvrières qui se sont constitué dans presque tout le pays au cours de l'année 1934 en réponse aux menaces d'extrême droite et qui ont joué un rôle clé pendant la grève insurrectionnelle d'octobre 1934.
L'autre organisation fondatrice, l'ICE, faisait partie de l'Opposition de gauche « trotskyste » - qui s'opposait à la montée du stalinisme et de la bureaucratisation de l'URSS. Bien qu'elle fut minoritaire par rapport au BOC, elle comptait des noyaux très actifs dans plusieurs régions du pays et apportait une contribution majeure sur le plan théorique.
Andreu Nin, principal dirigeant de l'ICE et Joaquin Maurin, leader du BOC, figuraient tous deux parmi les plus importants dirigeants et théoriciens marxistes de l'époque. Issus tous les deux du puissant syndicat anarchiste CNT, Nin avait adhéré au communisme dans les années '20. Il avait vécu 9 ans en URSS où il travaillait pour l'Internationale syndicale rouge et s'y était lié à l'opposition trotskyste. Maurin, quant à lui, était une figure importante du syndicalisme révolutionnaire et a également adhéré au mouvement communiste à la même époque.
En septembre 1935, les deux organisations ont fusionné en tant que premier pas vers la création d'un parti marxiste-révolutionnaire plus large. Le nouveau parti comptait quelques 6.000 membres à la veille de la guerre civile, la majorité d'entre eux en Catalogne où sa fédération syndicale, la FOUS, comptait 50.000 affiliés.
Lors des élections de février 1936, après avoir tenté sans succès de constituer un Front unique ouvrier, le POUM a décidé de soutenir le Front Populaire contre la droite, Maurin étant son seul député élu. Cette décision entraîna une rupture entre Trotsky et ses partisans espagnols au sein du POUM, accusés d'avoir trahis les intérêts de la classe ouvrière en appuyant une coalition subordonnée au républicanisme petit-bourgeois. En réalité, malgré son soutien tactique, le POUM critiquait durement le Front Populaire en tant que frein au développement d'un mouvement ouvrier indépendant.
La révolution qui a éclaté en réponse au soulèvement militaro-fasciste de juillet 1936 a engendré, comme pour toutes les organisations ouvrières, une croissance spectaculaire de l'influence du POUM. Pendant la première période de la guerre, ce dernier contrôlait 6 quotidiens, de nombreuses publications hebdomadaires et des émissions de radio. Il a organisé sa propre milice armée comptant plus de 8.000 recrues et le nombre total de ses adhérents a atteint les 30.000.
Dès le début, le POUM a clairement défendu l'option de mener à la fois la guerre antifasciste et la révolution sociale. Les communistes staliniens défendaient par contre une ligne dictée par Moscou : la lutte devait seulement se limiter à défendre la démocratie bourgeoise contre le fascisme, la révolution devait être niée et liquidée afin de ne pas effrayer les démocraties occidentales avec lesquelles Staline cherchait alors à s'entendre.
Le POUM et la CNT, par contre, insistaient sur le fait que la révolution et la guerre ne faisaient qu'un. Les masses étaient en train de lutter pour aller bien au-délà qu'une simple démocratie bourgeoise, et cela était démontré par la collectivisation des terres et de l'industrie, par la formation des milices et du contrôle populaire sur de nombreux aspects de la vie quotidienne.
Reconstruire l'Etat républicain bourgeois qui avait fait faillite face au complot militaro-fasciste, revenait à miner l'enthousiasme populaire qui était l'arme principale de la gauche contre une armée franquiste renforcée par ses alliés fascistes allemand et italien. De plus, l'idée selon laquelle les démocraties bourgeoises européennes n'allaient soutenir qu'une République modérée ne prenait nullement en compte le fait que les classes dominantes de ces démocraties préféraient une victoire du fascisme plutôt que celle de la gauche espagnole, quelle que soit le programme de cette dernière.
Afin d'assurer la victoire de la révolution, le POUM était conscient qu'il était nécessaire de constituer un pouvoir révolutionnaire. Un pouvoir constitué par une assemblée des comités ouvriers, paysans et miliciens, basé sur la démocratie directe et ayant la claire intention de consolider la révolution. Un tel pouvoir était nécessaire afin de structurer et garantir l'économie collectivisée et constituer une armée centralisée mais reposant sur les milices ouvrières.
Cependant, la plus puissante organisation révolutionnaire, la CNT, qui, selon ses principes anarchistes était auparavant contre toute forme d'Etat, s'est nié à lutter pour un nouveau type de pouvoir. La révolution, d'après les anarchistes, s'était déjà réglée dans les rues, dans les usines et dans les champs. Ils ont ainsi laissé aux mains de l'Etat républicain le contrôle du commerce, des finances, des communications et, surtout, des forces armées bientôt réorganisées sur un modèle plus classique, l'Ejercito popular.
Pire, abandonnant rapidement ses vieux principes, la CNT a activement collaboré au nouveau gouvernement : une collaboration qui a permis le maintien de l'Etat et ainsi des possibilités pour ce dernier de mener ultérieurement une contre-offensive contre le mouvement ouvrier. On ouvrit ainsi les portes de la contre-révolution, qui s'est effectivement déroulé quelques mois plus tard.
En Catalogne, cette politique de collaboration s'est traduite dans la constitution d'un nouveau gouvernement catalan, composé dès le mois de septembre 1936 des représentants de toute la gauche, y compris la CNT et le POUM. Ce dernier justifiait sa participation avec l'argument que le gouvernement catalan avait une majorité ouvrière et un programme révolutionnaire. Formellement, c'était bien le cas, mais du fait que cette majorité comptait avec la participation du parti stalinien PSUC, l'attitude du gouvernement catalan allait donc également à l'encontre de la révolution.
Le POUM devint de plus en plus la cible d'une campagne de calomnies de la part des staliniens qui l'accusaient, comme pour tous les communistes oppositionnels (réels ou non) de l'époque, d'être un « agent du fascisme ». Cette campagne faisait partie d'un plan plus vaste visant à en finir avec la révolution et a culminé dans les « Evéments de Mai » au cours desquels les forces policières, dirigées par les communistes staliniens, ont tenté d'arracher aux ouvriers le contrôle des rues de Barcelone.
Après plusieurs jours de combats faisant des centaines de victimes, la CNT a lancé le mot d'ordre d'abandonner les barricades afin de ne pas menacer « l'unité antifasciste ». Le POUM, qui se sentait une fois de plus trop faible pour agir seul sans la CNT, accepta la retraite malgré que la situation était favorable aux révolutionnaires dans la capitale catalane.
Trotsky a durement critiqué cette attitude hésitante du POUM, tout comme il l'avait fait au moment de la participation du POUM au gouvernement de la Generalitat. Cependant, il est difficile d'imaginer comment le POUM aurait pu changer le cours des choses sans acquérir au préalable une plus grande influence dans les rangs de la CNT, un problème qui remontait déjà à l'avant-guerre. La formation, en février 1937, du Front de la Jeunesse Révolutionnaire constitué par les jeunes poumistes et libértaires, aurait pu être un pas très important vers une plus grande collaboration, mais elle fut sabotée par la direction de la CNT.
En juin 1937, un nouveau gouvernement central, encore plus modéré et sans la participation de la CNT, interdisait le POUM. Sa milice au front fut dissoute, sa presse supprimée et de nombreux dirigeants arrêtés. Andréu Nin, leader du parti en l'absence de Maurin, qui avait été arrêté en pleine zone fasciste, fut kidnappé, torturé et finalement assassiné par des agents staliniens.
Le POUM a continué à agir dans la clandestinité jusqu'à la fin de la guerre, avec des centaines de militants dans les prisons de la République tandis que d'autres mourraient au front. Une campagne internationale de solidarité avec le parti est parvenue à ce que le procès des autres dirigeants du POUM ne débouche pas sur leur exécution comme le souhaitaient les staliniens. De plus, loin d'être accusés de « servir le fascisme », ils furent au contraire condamnés pour avoir tenté de « subvertir » la République.
Avec la fin de la guerre, le POUM est passé de victime de la répression stalinienne à la répression fasciste, tant dans l'Etat espagnol que dans l'exil.
L'expérience historique malheureuse du POUM mérite d'être sauvegardée pour ceux et celles qui, aujourd'hui, continuent à mener la même lutte pour les mêmes objectifs.
* http://www.espacioalternativo.org/node/view/960 Publié en français sur le site d'A Contre courant . Traduction : Ataulfo Riera