« Rien ne m'est sûr
que la chose incertaine »,
écrivait Villon, le poète…
« Prendre position et tenir sa place » est le mot d'ordre des stages PI organisés par le CEÉPI. J'ai en tête l'image du navigateur solitaire dont le regard fixé à l'horizon indique le chemin à suivre. Celui-là ne doute pas. Il tient la barre, il avance. Sans peur et sans reproche.
Il se trouve hélas que ce n'est pas si simple pour quiconque est confronté à une société d'élèves ou d'adultes qui pour, la plupart, n'attendent souvent qu'une chose : qu'on leur trouve une place, ou mieux, qu'on la leur donne. Certainement la force de l'habitude : « Chez madame X, on faisait comme ça, chez monsieur Y, comme ci… ». C'était réglé d'avance.
La PI d'abord dérange, bouscule : les enfants, les parents, les collègues et nous-mêmes. Peut-être est-il utile de ne pas l'oublier.
« Semer le désordre là où l'ordre asservit » (F. Oury). Je le comprends comme : libérer les issues qui empêchent de grandir.
Nous travaillons chaque année un outil de la PI, permettant de gratter la calamine qui obstrue ces issues. Nous avons souvent la sensation d'être assez loin de la lumière !
Cette année là c'était les métiers.
Les métiers, car nous en parlions à propos des élèves : quel est son métier ? Est-ce qu'il a un métier ? Cela devait donc avoir une importance.
Avoir un métier, c'est devenir quelqu'un. Le métier distingue, avons-nous entendu, lors d'un échange avec un groupe de PI toulousain. S'il distingue, c'est que je suis autre, je me décolle de la masse des élèves. C'est donc sérieux, un métier pour un enfant.
Il en est certains qui sont devenus d'usage courant comme le fameux
portier (tout le monde a lu
Miloud 6 ou y fait référence) mais comme nous nous essayons à la
PI et que rien ne va de soi, nous avons voulu nous y arrêter sur ces métiers qui contribuent à faire de nos classes des milieux un peu plus vivants.
Ce fut le thème du chantier de l'année 2008-2009, ponctué par la rencontre de l'équipe de PI toulousaine avec qui nous avons engagé une correspondance.
Vincent Bordeneuve
Essai de définitions :
Un « Métier » : qu'est-ce que c'est ?
Une fonction sociale dans la classe : le métier distingue. Un engagement à la taille de l'enfant.
Métier et (ou) responsabilité ? A quel moment le métier devient-il une vraie responsabilité ? Métier : apprentissage de la responsabilité ? Préalable à la prise de responsabilité ? (le risque est moindre).
La notion de pouvoir
Pas de métier sans pouvoir. Elle est indissociable de la notion même de responsabilité. Premier pouvoir : avoir son nom sur un métier, et être le seul à pouvoir le faire...
Importance du Conseil
On choisit son métier au conseil, devant toute la classe : c'est inscrit, donc officiel. C'est à ce moment que le métier est défini. On rend compte de son métier au conseil : on peut être critiqué, on peut être félicité… C'est au conseil qu'on peut changer ou échanger son métier.
Valoriser les métiers
Un métier permet de grandir : les ceintures en rendent compte. On leur attribue des couleurs en fonction des responsabilités mises en jeu, de façon à ne pas demander l'impossible. Un métier permet de passer une ceinture plus grande. Dans les classes qui ont mis en place la monnaie, le métier est payé.
Les écueils à éviter :
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Le métier n'est qu'un service rendu au maître ou à la maîtresse : abus de pouvoir de l'adulte ; seule gratification : être bien vu, être bien considéré.
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Le métier n'a aucune incidence dans la classe, il devient vide de sens, il ne sert à rien.
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D'autres font le métier à la place du titulaire : on perd ici la notion de prise de position. Le métier n'est pas inscrit, écrit : on ne sait plus qui le fait et aucun moment n'est institué pour en rendre compte d'une manière ou d'une autre (ce n'est plus une institution).
Fiche du métier « TABLEAU »
Descriptif : Habituellement, ce métier consiste à effacer le tableau à différents moments de la journée. Il peut être étendu à d'autres fonctions liées au tableau : affichage, aimants, tampons, lingettes, craies.
Ce métier peut se faire à plusieurs moments décidés à l'avance : le soir, après la classe ou lorsque l'heure de la sortie a sonné ; en cours de journée, lorsque ce qui est écrit n'a plus de raison d'être ; le matin pour la mise en place (avant la classe ou à l'entrée des élèves)...
Pouvoir et responsabilité : la possibilité d'approcher le tableau, avoir le droit de le toucher régulièrement (privilège dans une classe) ; avoir le droit de se lever dans la classe au moment où d'autres sont assis ; effacer : autant que nettoyer, le pouvoir d'effacer… (ne plus laisser de traces…). La responsabilité de ce métier pourrait être étendue à d'autres responsabilités plus engageantes pour l'enfant telles que : écrire la date ou les titres des activités ; tableau mémo : pense-bête (à ne pas oublier) ; ne pas effacer...
Ce que l'enfant apprend : respecter un engagement (valable pour tous les métiers mais visible directement et par tous dans ce métier particulier : il peut donc être utile de ne pas passer derrière le métier tableau de façon à faire constater par l'enfant lui-même que le métier a été fait correctement ou pas) ; rapport au soin : préparer un support propre pour mettre en valeur ce qui est écrit. Cela peut se retrouver sur le soin accordé à son travail (cahier, copie…) ; se montrer, se déplacer, faire devant les autres : le tableau étant central dans une classe, ce métier donne une place à la représentation physique de l'enfant. C'est une place bien définie et fixe : tout le monde voit le tableau. L'enfant prend position par ce métier, trouve une place visible...
Ce que le maître apprend : que le tableau est un outil essentiel à l'école (support symbolique et physique que l'on retrouve dans tous les dessins d'enfants concernant la classe) ; qu'il faut être exemplaire sur les modèles d'écriture ; qu'on peut réfléchir à ce qui peut être gardé ou effacé (en lien avec l'affichage par exemple) ; qu'il est difficile de demander à un enfant de soigner son travail si le tableau est une page de brouillon sur le mur...
Un métier, des élèves : Lakhdarabuse de son pouvoir. Il se lève souvent, se déplace : les moments sont à préciser. Redouaneest devenu plus important grâce à ce métier ; il anticipe.
Ce qui est important, c'est ce que chaque élève va faire de son métier : Loubna, grâce à elle, on peut passer plus vite à une autre activité, ça a à voir avec la propreté. Nasteho a mis du temps à prendre ce métier à cœur. Problème : les dames de service nettoient le tableau le soir, (il a donc fallu que je leur demande de ne plus le faire que le vendredi pour qu'elle se rende compte de l'importance du métier).
Fiche du métier PORTIER
Descriptif : Le portier ouvre et ferme la porte de la classe quand on entre, quand on sort, quand une personne frappe à la porte. Le portier accueille : il dit « bonjour » et reçoit correctement toute personne qui se présente.
Pouvoir et responsabilité : ouvrir la porte, c'est être le premier à savoir qui vient ; c'est être celui qui permet de rentrer dans la classe (cela a à voir avec « gardien ») ; c'est celui à qui on va s'adresser en premier quand on arrive dans la classe, (parfois, le portier est lui-même nommé par celui qui entre dans la classe, lorsqu'il s'agit par exemple d'un adulte de l'école). La responsabilité de ce métier peut être envisagée comme « lien » avec le responsable de la classe (l'adulte) : prendre un message, annoncer le message...
Ce que le maître apprend : que la classe n'est pas un moulin : on n'y entre ni ne sort n'importe comment ; qu'on a à accueillir quiconque dans de bonnes conditions dans la classe, petits ou grands ; qu'on frappe à la porte d'une classe et qu'on dit bonjour quand on y entre ; qu'être poli c'est rassurant et apaisant pour une personne « étrangère » à la classe ; qu'on doit être exemplaire dans sa façon de s'adresser à une classe ou à l'enseignant d'une classe quand on y entre...
Ce que l'enfant apprend : à être présent dans la classe (écouter si on frappe à la porte) ; à accueillir correctement (être présentable) ; à s'adresser à autrui (à s'exprimer) ; à représenter la classe : c'est la première personne qu'on voit de la classe ; à mettre de la distance dans son discours et savoir à qui il s'adresse ; que les lieux ont des limites : la salle de classe est un lieu de travail ; qu'il y a des règles dans la classe : on n'entre pas en courant, on entre calmement, on évite de faire du bruit avec sa chaise…
Un métier, des élèves : Samar filtre, ça passe par elle avant d'arriver à la maîtresse. C'est la première personne qu'on voit quand on rentre dans la classe ; Dounia est un peu loin mais ce n'est pas grave : il y a toujours un petit délai avant que la porte s'ouvre. Elle n'aime pas qu'on entre sans frapper. Moi, je ne regarde pas, je fais confiance. Simon n'est pas très à l'aise mais plus personne aujourd'hui n'entre dans la classe sans qu'il ait dit : «
Vous pouvez entrer…» calmement, avec un petit mouvement du bras très caractéristique. Quelqu'un a proposé un jour au conseil de prendre son métier car on avait changé de place. Simon s'est insurgé contre cette demande et a demandé à rester à la même place (prêt –
sic ! – de la porte) toute l'année.
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L'Épirénées 2009-2010 : Sandrine, Catherine, Alexis, Cécile, Vincent, Myriam.
Notes :