« Les cinq premières minutes dans la classe » de Philippe Jubin m'ont donné à réfléchir sur la façon dont je prenais la classe chaque matin, notamment dans ce laps de temps qui précède les lieux de parole (lundi : Quoi de Neuf ?, jeudi : Hier, j'ai lu…, vendredi : Préparation Radio)
Voici comment nous entrons dans la classe.
Dès la sonnerie, les enfants se rangent dans la cour sous le préau qui donne sur le couloir commun aux classes du rez-de-chaussée. Un enfant va ouvrir le verrou de l'intérieur. J'accompagne les élèves, à peu près rangés 2 par 2, jusqu'à la classe, en veillant à ce qu'ils aient une attitude calme (on ne parle pas fort, on ne court pas, on ne pousse pas). Ce moment a été souvent discuté dans les premiers conseils de l'année.
Ils s'arrêtent devant la porte de la classe.
Je demande à ceux qui n'ont pas ôté leur veste ou leur blouson de les suspendre aux porte-manteaux dans le couloir.
Je les invite ensuite à entrer dans la classe et montre du doigt à ceux qui parlent trop ou trop fort l'affiche collée sur la porte depuis le premier jour de classe : « On entre dans le calme ».
Puis, tout le monde s'assied, accroche son cartable.
Je me place devant le tableau et attends que le silence se fasse, en nommant certains élèves qui se retournent ou qui discutent encore : « Sonia, on peut commencer ? »
Je dis : « Bonjour ! ».
Les enfants me répondent. (Je tiens à ce que ce soit un bonjour ! « normal », accueillant, pas un « Bonjour ! » pour faire rire.)
Ensuite, je lis l'emploi du temps de la journée, écrit lisiblement sur le tableau mobile, à la craie. (Je l'écris la veille au soir ou le matin avant l'arrivée des enfants)
« Y a-t-il des questions sur la journée ? »
En levant le doigt, les enfants questionnent sur l'emploi du temps, si besoin est (en général, 2 ou 3 questions, pour savoir ce qu'on va faire. Les jours particuliers, (sorties…) les questions sont plus nombreuses.
Puis, je fais l'appel (seulement si il y a des absents : décision proposée par un enfant, hors Conseil, et acceptée par tous, pour gagner du temps)*
Ensuite, nous passons au moment, « Compte Rendu Journal et Cassette Radio » (productions périodiques de la classe que les élèves emmènent chez eux à tour de rôle pour les présenter aux parents) Les élèves concernés viennent devant le tableau et font le compte rendu des remarques ou propositions des parents, grands frères ou grandes sœurs. Lorsque ces remarques sont nouvelles, elles sont notées (écrites). Elles serviront pour le prochain journal, la prochaine émission.
Viennent ensuite le « J'ai quelque chose à dire… » et le « J'ai quelque chose à présenter ».
Dans le premier, les enfants peuvent donner une information à la classe, un mot des parents au maître, une assurance, le montant de la coopérative, un certificat médical, s'adresser au maître ou à un élève de la classe directement et devant toute la classe : ex : « J'ai quelque chose à dire à Leïla. Est-ce que tu as pensé au CD pour le groupe danse ?… J'ai quelque chose à dire à Afif. Est-ce que tu as fait le calendrier ?… » Les réponses sont en général courtes et précises.
Ce n'est pas un Conseil car ce n'est pas un moment de décisions mais je l'apprécie pour son aspect « non vide de sens ». C'est souvent le moment où la parole donnée est mise en cause : est-ce que tu as tenu parole ? Est-ce que tu as fait ce que tu avais dit ? La classe n'oublie rien.
Un élève qui avait promis à une autre de lui rendre un stylo qu'il avait cassé volontairement a été poussé à le faire grâce à ce moment et à chaque fois par des enfants différents, plusieurs jours de suite : J'ai quelque chose à dire à Hamed : Est-ce que tu as amené le stylo pour Audrey ? Au bout du compte, il a rendu le stylo.
De plus, il permet d'évacuer les prises de parole qui parasitent la journée : « Ma mère m'a donné un mot… ».
Dans le second, les enfants peuvent, si ils le désirent, présenter un objet (pour le Marché ou autre), une énigme apprise par le tonton, un tour de magie du grand frère, la photocopie d'une chanson à la mode, un dessin au tableau, une photo, un diplôme de natation ou de judo… Ils lèvent le doigt. Je les appelle un par un. Ils présentent leur objet et sont questionnés. Ils donnent la parole. Si l'objet est présenté pour le Marché de la classe, il est donné au responsable « Coin Expo » qui le range.
Ça pourrait être un « Quoi de Neuf ? » mais on ne s'inscrit pas à l'avance, on n'est pas dans l'espace de parole (chacun reste à sa table), il n'y a pas de secrétaire défini, ni de garant du temps, ni de président. On n'y dit pas la même chose… C'est le « J'ai quelque chose à présenter ».
Ce moment permet à ceux qui prennent trop souvent ou rarement la parole au « Quoi de Neuf ? » d'avoir l'occasion de le faire à un autre moment. On y parle, me semble-t-il, de façon plus directe et plus libre, sans effort, sans retour à la règle. Je n'ai jamais connu de débordements dans ces moments là (sauf le temps, qu'il faut tenir !). Tout se déroule sans véritable tension, dans le calme, chacun parle à son tour. Pourquoi ? Est-ce un effet des lieux de parole ? Est-ce le fait que ce moment, ils se le sont appropriés ?… Certes, je gère la parole mais cela me paraît véritablement détendu.
Au Conseil, peu à peu, plusieurs décisions ont été prises pour aménager ce moment. Par exemple, au lieu d'écrire « J'ai quelque chose à dire… ou à présenter » au tableau, je n'inscrirai plus que la lettre J. Proposition d'Abdoullah au Conseil. C'était un peu long à écrire chaque matin.
Lors d'un autre Conseil, il a été décidé d'installer une petite table (transformée en deux chaises collées) pour poser les objets présentés.
Et puis, enfin, on se met au « travail »
Il est 8 heures 50. La classe a commencé depuis 20 minutes. Peut-être a-t-on déjà fait quelque chose…
*maintenant, on fait l'appel chaque jour, même si tout le monde est présent… (ajout 2010)
Vincent Bordeneuve (écrit en 2003)