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COLLECTIF EUROPEEN
D'EQUIPES DE PEDAGOGIE INSTITUTIONNELLE
auteur : G. Mangel
date : 12 octobre 2010

Naissance d'une équipe pédagogique


ENTREE 1975

Premier poste de titulaire. Après cinq ans d'auxiliariat, j'ai réussi l'agrégation. Je viens de participer à mon troisième stage de Pédagogie Institutionnelle (10). J'ai demandé et obtenu un poste dans ce collège de W. qui vient d'ouvrir. Je l'ai obtenu facilement : personne ne souhaite travailler dans ce quartier difficile. L'ouverture du collège a d'ailleurs fait suite à une manifestation violente de la population du quartier qui s'apprêtait à marcher sur. le commissariat ! Dans l'école voisine, des instituteurs affiliés à l'Institut Coopératif de l'Ecole Moderne ont entrepris de faire fonctionner une équipe "Freinet".

Après plusieurs tentatives de mise en place de classes coopératives en lycée et en collège, j'ai l'intention d'aller un peu plus loin. Les conditions me semblent favorables : un établissement neuf, avec des enseignants qui ne sont pas encore installés dans la routine, un Inspecteur d'Académie ouvert à des tentatives de pédagogie moderne puisqu'il a permis la mise en place de l'école Freinet dont je viens de parler avec un choix des enseignants très particulier et tout à fait inhabituel dans l'administration, la cooptation. Les instituteurs se sont choisis entre eux et sur un critère simple : le désir de travailler selon les technique de la classe coopérative.

Dans ce collège, le fort taux d'élèves en difficultés me laisse espérer que les autorités hiérarchiques me laisseront travailler en paix (dans les situations quasi-désespérées, il n'y a pas grand'chose à perdre !).

Avant la rentrée, je rends visite au Principal et lui fais part de mon intention de pratiquer dans mes classes une pédagogie active. Je lance l'idée d'un cadre expérimental pour officialiser ce genre d'action : il m'écoute attentivement et n'a pas l'air hostile à cette possibilité.

Etats d'âme

Rentrée dans un collège : la cour, les portes, les couloirs... Le premier tableau de l'année avec un numéro de salle... Les collègues vers qui je vais, ceux que j'évite, ceux que je scrute : bonne têtes, sourires et séduction, antipathie spontanée. Bonjour, causette, plaisanteries classiques, et les vacances et la caravane et le jardin et le dernier film, la dernière nouveauté achetée par correspondance à la C.A.M.I.F (coopérative d'achat des enseignants)...

Discours du chef. Estomac crispé et angoisse anticipée à l'idée d'affronter dès demain trente élèves agressifs et sans pitié, de tenir tant bien que mal une position faite pour être attaquée. C'est bien défensif tout ça ! Oui, vu mon expérience, il y a intérêt à ce que les défenses tiennent bon !

Pourquoi ramer dans le sens d'un travail commun avec des collègues dont beaucoup s'en moquent, alors que ce serait si simple de faire ma petite cuisine tout seul ? Je me sens un peu comme un petit scaphandrier qui ne supporte rait pas bien de se cuirasser avant la plongée. Pourquoi cet effort et cet acharnement ? Je crois que c'est pour rester vivant, pour demeurer capable de prendre des risques face aux enfants, capable aussi de leur signifier quelque chose. Signifier : c'est de SENS qu'il s'agit !

Je cherche des sympathies. Rares ici. Sympathie : "souffrir avec"...rares : chacun semble préférer souffrir en silence et seul (dignité ?). "Moi ? des problèmes ?...non." Ou encore : "oui, mais tu sais bien qu'il n'y a rien à faire." FAIRE : un mot lâché ...l'âge du "faire"...façonner ce qui va nous permettre de balayer quelques poncifs et de soulever l'éteignoir.

Pourquoi ce fantasme d'éteignoir ? Parce que l'image, peutêtre bien fausse, que me donnent certains collègues me la suggère : refaire sans cesse le même petit trajet, répéter le même petit cours émaillé des mêmes petits bons mots... la routine brisée ici et là par les incidents et coups d'éclat, coups de gueule. L'image du prof rond de cuir qui ne rit pas : rire = chahut ! Image du "sûr de son message". Sûr, cela signifie également presque moisi ! Et moi làdedans ? Je suis censé savoir beaucoup puisque je suis passé sous les fourches caudines de l'agrégation. Ce qui m'en reste, entre autres, effet certain d'une formation scientifique, c'est quelque chose qui me tient fort, chevillé aux tripes, sensible comme une seconde peau : le doute, permanent, ravageur. Et je doute de ce que je sais , parce que c'est le doute qui a fécondé la recherche de ceux qui ont découvert avant moi ce que je sais. Et je veux douter de mieux en mieux, de préférence avec d'autres : c'est plus gai : je veux douter et rire !

Une des difficultés de ce petit enfer, c'est que les élèves ne respectent rien. Ils sont sciemment iconoclastes. On dirait que pour eux, l'image du prof est la première à "dégommer". Injures, quolibets, dès les premiers jours de classe ...j'exagère ? Alors pourquoi me reste-t-il de ces huit années passées au collège de W. l'habitude de circuler dans les couloirs en "garde" de karaté, toute vigilance en alerte, pour ne pas recevoir une tête dans l'estomac , une porte dans la figure ou éviter quelque projectile... Bon, d'accord, j'exagère un peu : sur les 700 mômes entassés là- dedans, un nombre non négligeable étaient assez bien disposés à l'égard des enseignants. J'irai même jusqu'à dire que ceux qui étaient odieux manifestaient ainsi ce qui ne pouvait se dire autrement. Probablement est-ce là que réside le fond du problème...Voilà pourquoi je cherche des sympathies : rester "avec" ceux qui s'y connaissent et s'y reconnaissent.

"Qui cherche trouve" dit le proverbe. J'ai trouvé. Des copains en tout cas. Souvent plus encore que des copains : des amis. Et leur seule évocation soulève immédiate ment en moi des feux d'artifice de souvenirs : que d'astuces concoctées, d'idées brassées (dont quelques unes mises en oeuvre) ! Que de souffrances aussi, et de bagarres ! Rien de tel me dis-je (avec tristesse) qu'un bon ennemi pour souder un groupe... Enfin, presque toujours, car c'est également la bagarre qui a "dessoudé" notre équipe. "Dessoudé", je pèse le terme : une sorte d'exécution capitale de quelque chose qui m'était très cher. Et en arrière plan de cette image de meurtre se profile celle d'un amour excessif. Par certains côtés, ce projet a tenu pour nous, pour moi, la place d'un exigeante passion. Syndicalisme et Conseil d'Administration.(11)

C'est à travers l'action syndicale que je peux prendre les premiers contacts et rencontrer quelques collègues avec qui il est possible de parler d'autre chose que de la pluie et du beau temps. Une section S.G.E.N.C.F.D.T. est créée dans le collège à l'occasion des élections au Conseil d'administration. La lutte est chaude entre les 3 "cédétistes" que nous sommes et la F.E.N. qui ne voulait nous offrir qu'un strapontin sur une liste de cinq. Nous faisons donc liste à part. Contre toute prévision, nos efforts pour parler clairement, présenter un programme, défendre les agents et les auxiliaires, porter au conseil des préoccupations pédagogiques, nous permettent d'enlever deux sièges sur cinq. Le représentant élu par les agents adhère ensuite à notre section, ce qui porte à trois notre représentation ; enfin, un tel conseil comprend un membre coopté, c'est à dire nommé par les représentants élus et choisi pour sa notoriété ainsi que son activité susceptible d'être utile à l'établissement : le Principal propose le chef de service d'un centre de prévention. Après consultations des règlements, j'apprends que tout membre élu au conseil peut proposer un candidat à ce poste. La section syndicale propose un éducateur de rue qui est finalement choisi par la majorité du conseil. Ces péripéties inaugurent une série de rapports de force qui présideront à l'ensemble de cette recherche.

Les réunions syndicales sont l'occasion de poser le problème des élèves en situation d'échec scolaire. Le S.G.E.N. est, par ailleurs ouvert à l'idée d'autogestion. Mai 68 déjà loin a cependant laissé des traces chez les collègues de la section. Je me risque donc à parler de ma pratique pédagogique et je propose à mes camarades de visiter ma classe. Bien que peu élaboré encore, mon travail intéresse quelques collègues.

Avec une collègue de français, nous intervenons dans la même classe . Elle accepte de travailler de manière suivie et vient participer au deuxième Conseil (12). Lors de la précédente réunion, à laquelle elle n'assistait pas, ce Conseil avait décidé un certain nombre de règles de vies. Cette fois, la décision est prise d'afficher ce qui est alors nommé "Lois de la classe de sixième 4". (13).

C'est le début d'une coopération qui est d'ailleurs accentuée par la participation de cette collègue à la réunion du groupe local de Pédagogie Institutionnelle (à l'époque G.E.T. : Groupe d'Education Thérapeutique). Dans ce groupe, nous travaillons avec d'autres enseignants qui ont participé à des stages d'entraînement et de formation à la P.I.. Deux d'entre eux suivent de près nos efforts et font leur demande de mutation pour le collège de W. Si tout va bien, nous serons plus nombreux à la rentrée suivante. Un cadre officiel : la Recherche Déconcentrée.

En février, le Principal me donne un dossier en me disant : "Ca peut vous intéresser...".Il s'agit des imprimés rectoraux de demande d'inscription dans le cadre de la recherche déconcentrée. Sous ce terme se cache simplement le fait que ces recherches sont sous la responsabilité d'un tuteur rectoral et non national comme la plupart des recherches officielles.

La question, soulevée au sein du G.E.T. local dont je viens de parler suscite un débat qui se conclut en faveur d'un statut officiel de "chercheurs" qui nous mettrait à l'abri au cas où on nous reprocherait de ne pas travailler comme tout le monde. De plus, il semble possible d'obtenir des moyens en heures et une subvention. Nous tentons notre chance : la demande fait mention d'une recherche par le développement du travail coopératif en classe, en vue de réduire les échecs chez les élèves en difficulté.

Le dossier envoyé, nous l'oublions un peu et nous poursuivons le travail quotidien, nos concertations et les réunions dans le groupe de référence (G.E.T.). En fin d'année, une fête organisée dans le collège est l'occasion de vendre quelques modestes productions de nos classes : des journaux tirés à l'alcool. Nous pouvons également mesurer la violence qui peut se déchaîner dans ce quartier : des loubards mécontents de n'être pas invités viennent perturber la quiétude relative d'une petite manifestation au cours de laquelle les élèves veulent montrer à leur famille ce qu'ils ont préparé. Pour entrer et assister à une pièce de théâtre, jouer et s'essayer aux épreuves de quelques stands dressés dans la cour, il faut justifier qu'on est parent d'élève. Mécontents d'être interpellés sur ce sujet un groupe de jeunes de 16 à 20 ans s'impose et s'installe dans les rangs des spectateurs, puis, cherchant querelle, frappent le concierge dont l'allure n'est pourtant pas du tout celle d'un vigile. Le Principal est lui même menacé et un peu bousculé. Les bouteilles, le matériel et nos illusions volent en petits morceaux.

ANNEE 1976/77.

Nous sommes quatre : ma collègue de français a participé à un stage de Pédagogie Institutionnelle et les deux collègues du G.E.T. ont été nommés dans le collège. L'un enseigne le français, l'autre l'anglais et le français. Nous avons un "feu vert" téléphonique pour la recherche. Cela signifie concrètement que le principal a fait le nécessaire pour que nous ayons des classes en commun et que nos emplois du temps comportent une heure commune de liberté qui nous permettra de nous réunir les lundis de 16 à 17 heures. Nous demandons et obtenons une petite salle jusqu'alors inutilisée. Le collège comporte des locaux de demi pension qui ne sont pas en service ; le bureau du chef de cuisine, un peu à l'écart nous convient très bien...

Nous avons un lieu et un temps. Ces données nécessaires ne sont cependant pas suffisantes : aucun texte officiel ne nous est encore parvenu du rectorat. Cela signifie que la demande que nous avons déposée en mai dernier n'a pas reçu de réponse et que notre statut de chercheurs n'est pas encore établi administrativement. Pourtant, sur les feuilles que chaque enseignant signe à chaque rentrée scolaire et qui précise son service horaire hebdomadaire, le Principal accepte d'inscrire une heure de concertation : en fait, il ne s'agit que d'une heure pour les deux d'entre nous qui sont officiellement inscrits dans cette recherche. Le groupe de quatre décide unanimement de partager cette somme : les comptes sont assez complexes car il faut reverser de nos deniers personnels ce qui n'est pas repris par les impôts...

Autre difficulté : une salle fixe est facile à obtenir pour moi. En effet, nous sommes trois professeurs de sciences à nous partager trois salles spécialisées. Mais pour mes collègues, la réponse du directeur adjoint (chargé de la répartition) est négative : "ce serait trop compliqué". Il leur faudra donc transporter leurs panneaux, documents, fichiers, dossiers, etc.

Enfin, la rentrée proprement dite nous donne une impression de terrible désordre : la répartition des salles, des classes, les consignes à donner aux élèves sont pour le moins confuses. Les effectifs sont, à notre avis trop chargés. Un climat de "grogne" s'installe et nous allons le traiter en section syndicale.

Réflexions stratégiques.

Cette année scolaire 76/77 a laissé dans ma mémoire le souvenir d'une activité "tous azimuts". Je cherche à mettre en place dans mes classes les techniques d'une pédagogie adaptée à la fois à ma matière et à la situation particulière du collège. Je travaille avec les trois autres membres de l'équipe (une réunion hebdomadaire d'une heure à laquelle il faut ajouter de nombreuses concertations informelles). Je travaille dans un G.E.T. (Groupe d'éducation thérapeutique) un week-end par mois, y apportant les matériaux d'une écriture sur les pratiques. Simultanément, je travaille avec une équipe au plan national à préparer un stage d'été, cette structure de formation qui permet aux praticiens de la pédagogie institutionnelle de prendre, de donner, d'échanger leurs travaux, de se resituer dans une hiérarchie de compétence. Responsable de stage, c'est pour moi le passage de ce que nous appelons dans notre jargon une "ceinture noire", donc en soi une aventure déjà bien remplie. De surcroît, je milite également au syndicat (S.G.E.N.-C.F.D.T.) de façon active.

Tout cela de front ? Oui, et c'est peut-être justement ce mot : "front" qui éclaire le mieux cette activité excessive, par la connotation combattante qu'il suggère et la souffrance qu'il implique. Mon expérience m'a durement appris que tout changement fait surgir des résistances plutôt coriaces. Pourtant, pour beaucoup de collègues, ces résistances au changement peuvent sembler assez minimes dans un collège, surtout si on les considère isolément. Les élèves ? dans le monde fermé de la classe, on peut faire beaucoup de choses... Les collègues ? tant qu'il n'y a pas trop de bruit et que cela ne dérange pas leur emploi du temps, ceux qui pourraient être hostiles se contentent de douter plus ou moins ouvertement de vos méthodes. D'autres sont indifférents ou même parfois aidants... La hiérarchie administrative ? Il suffit de bien tenir les cahiers de textes et de ne pas demander ce qui pourrait passer pour des avantages comme une salle fixe ou des horaires aménagés...Les inspecteurs ? Leur faire le numéro qu'ils attendent lors de leurs rares visites ... Les parents ? Les tenir informés, en termes compréhensibles et adhérer à l'assurance "l'Autonome" qui assure la défense des enseignants en cas de litige... J'en oublie certainement. Conscient de tout cela, je trouve plus simple de prendre le problème d'une autre manière : chercher comment je veux travailler et prévoir les principaux désagréments qui peuvent advenir, mettre en place les parades que je juge efficaces. Classiquement, la meilleure parade étant l'attaque, je développe une stratégie offensive. Mes trois collègues et amis contribuent largement à cette stratégie. Pour nous, l'attitude constructive consiste à ne jamais tourner l'agressivité vers les personnes, mais à attaquer vivement tout obstacle institutionnel à notre travail.

Le réseau constitué par tous ces "lieux" que sont l'équipe du collège, le G.E.T., la section syndicale, le secteur S.G.E.N., auxquels il faut ajouter les lieux informels d'un ensemble d'amis prompts à la solidarité, nous fait disposer d'une infrastructure capable d'aplanir des obstacles réels. Dans notre perception subjective du moment, il s'agit d'ouvrir et de protéger des espaces de liberté. Une connexion entre pédagogie et autogestion est ici illustrée : nous voulons que chacun puisse devenir acteur de son existence dans le travail, mais également dans d'autres domaines de la vie quotidienne (habitat, consommation, environnement...). Soulignons enfin le fait que la force engendre ses propres limites : combatifs, nous ne mesurons pas toujours que ce que nous réussissons à ouvrir et à protéger grâce à un rapport de force peut être défait par le renversement Du-dit rapport.

Fonctionnement du "groupe des quatre".

Rapidement, grâce à notre formation commune dans les stages de pédagogie institutionnelle, nous parvenons à un accord sur une organisation efficace des concertations du lundi : Un cahier de secrétariat est ouvert, tenu à tour de rôle par chacun de nous. Chaque réunion se déroule selon un ordre du jour type, le secrétaire de la réunion précédente devient président de séance (14). L'ordre du jour comporte trois parties :
1) Tour de table : difficultés en classe, questions et rebonds, aide éventuelle.
2) Travail d'élaboration des outils pour la classe.
3) Points divers.

Quelques remarques s'imposent sur ce type de fonctionnement : le fait de parler avec des collègues de ses difficultés avec les élèves n'est pas du tout habituel. Une sorte de pudeur empêche souvent d'avouer ces choses. Et puis, l'idée si répandue que les problèmes n'arrivent pas à n'importe qui (sous entendu : "si tu as des difficultés en classe, c'est que tu souffres d'un problème personnel") dissuade d'en parler. Personne, en effet n'a envie de passer pour névrosé ou incompétent. En instituant cette pratique, nous mettons en place une condition d'existence d'un certain type d'équipe pédagogique. Une autre condition est la visite réciproque dans les classes : ceci est réalisé dès le début de cette année scolaire, en particulier à propos de conseils tenus en commun entre 2, voire 3 d'entre nous. Au cours d'autres visites, nous mettons au point les méthodes communes de travail de groupes pour les élèves, le mode de fonctionnement d'activités qui nous concernent dans plusieurs matières comme la correspondance avec des classes d'établissements parisiens ou bretons.

Le point "divers" est souvent consacré aux relations avec les collègues, ou avec l'administration. Nous sommes en particulier amenés à prévoir une information sur ce que nous faisons pour répondre aux questions des collègues intrigués. Autour du "groupe des quatre" qui tourne efficacement, va se constituer une sorte de deuxième cercle d'une dizaine de collègues plus ou moins intéressés et qui se tiennent au courant de ce que nous faisons. La section syndicale en est le point de départ. Ici, le caractère implicite de certains de nos objectifs est à souligner : faut il d'ailleurs nommer "objectifs" des désirs de justice, de liberté, dont la composante idéologique donc très subjective est si forte ? Il m'a d'ailleurs fallu quelques années de recul pour en mesurer la prégnance sur nos activités. Plus exactement, nous poursuivions le but de faire fonctionner l'ensemble de l'établissement selon les principes qui nous paraissaient les plus démocratiques. Cette composante pèse d'autant plus sur la suite des évènements que ceci n'est pas totalement conscient pour nous, et en tous cas non explicité dans les divers lieux où nous sommes amenés à intervenir.

Une bataille intéressante.

Au cours du second trimestre de l'année scolaire, début 77, un mécontentement qui s'est développé dès la rentrée rend possible une réunion intersyndicale. Les problèmes posés en premier lieu sont liés à ce qu'il est convenu d'appeler la discipline : les élèves circulent dans les couloirs, cassent, crient, perturbent le travail. Le règlement intérieur récent ne prévoit pas encore de sanctions. De plus, les effectifs de certaines classes sont jugés trop lourds pour pouvoir y travailler correctement.

Plusieurs propositions sont faites dont certaines qui deviendront des décisions : est-il besoin de préciser que pour donner à une telle réunion de 30 personnes un caractère délibératif tout en lui conservant son côté démocratique, il faut maîtriser et appliquer les techniques de présidence, de secrétariat, faire établir et respecter un ordre du jour. L'expérience et l'habitude de quatre participants qui ont préparé la réunion n'est pas étrangère à la suite. J'ai connu par ailleurs tant de réunions stériles malgré les bonnes idées qui s'y font jour que je suis très sensible à la réussite de celle-ci : c'est une action "effectif emploi" qui est décidée au cours de cette réunion, ainsi que la demande faite à l'Inspecteur d'Académie de recevoir une délégation des personnels de l'établissement. Le Principal accepte de faire partie de cette délégation. Ce fait me paraît important : il a probablement motivé l'acceptation de l'Inspecteur de nous recevoir.

L'action "effectif emploi", bien que décidée majoritairement par l'assemblée, ne sera mise en oeuvre que par une dizaine de professeurs, soutenus par le S.G.E.N. mais non par le S.N.I., bien que certains de ses adhérents nous assurent de leur sympathie. Comment cela se déroule-t- il ?... Il s'agit d'une forme de lutte syndicale assez originale : Au cours d'une semaine "chaude", nous dédoublons nos classes, la moitié des élèves qui ne sont pas acceptés en classe sont gardés par des collègues qui n'ont normale ment pas cours à ce momentlà. Nous en profitons pour mettre en pratique des travaux par petits groupes interdisciplinaires, du soutien pour les élèves en difficulté, des activités impossibles avec des classes entières. L'action a été préparée entre autres par un tract distribué dans le quartier. Contact peu banal entre les parents, les élèves et les professeurs qui ne circulent jamais parmi ces blocs, ne s'aventurent habituellement pas dans les entrées délabrées et encore moins dans les étages sombres qu'ils parcourent ce jour là en expliquant aux parents ce qui va se passer au collège. Cette action sera nettement moins impopulaire qu'une grève : il est évident pour tous que nous travaillons davantage encore et nous démontrons que le changement est possible... tout en mettant en évidence que certains n'y participent pas.

La délégation chez l'inspecteur d'Académie est préparée au cours d'une nouvelle réunion intersyndicale. Nous y ferons part de la situation particulière de l'établissement, du fort taux d'échec, des difficultés à y faire régner le minimum d'ordre nécessaire au travail. L'argumentation vise à lui faire admettre qu'un tel collège doit être doté de moyens supplémentaires. Le terme de "Zone d'Education Prioritaire" empruntée au S.G.E.N. est avancé. Avec ses 7 divisions de C.P.P.N. alors qu'il n'y a que 2 divisions de quatrièmes dites "normales", l'établissement se classe dans les premiers au hit parade de l'échec scolaire. L'inspecteur nous écoute, précise que ce genre de décision ne lui appartient pas mais promet d'en référer à ses supérieurs. Le résultat concret sera, l'année suivante, la nomination d'un contingent de 5 surveillants (il n'y en avait que 2). Un poste de Conseiller d'éducation est ouvert et pourvu. "C'est pas une fleur !!!" me dit un jour un collègue à qui je rapportais le fait. Ce n'est certes pas en ce sens que nous souhaitions aller. A notre demande de ne nommer dans l'établissement que des enseignants chevronnés et motivés pour éviter ce qui s'est malheureusement produit l'arrivée de débutant(es) qui ne tiennent pas huit jours devant certaines classes(15), l'Inspecteur répond qu'il ne peut pas grand-chose. Mais par la suite, nous constatons que les remplaçants sont avertis et semblent avoir la possibilité de refuser. Ceux qui viennent savent qu'il ne faut pas être un enfant de choeur pour "tenir" à W.

Cet aspect militant de notre activité aura des effets que je crois déterminants sur la poursuite de notre action pédagogique. Les débats avec un grand nombre de collègues nous permettent de toucher plusieurs d'entre eux qui ne s'intéressaient pas a priori à la pédagogie mais étaient sensibles à d'autres aspects de leur travail (discipline, effectifs, hétérogénéité des niveaux d'une classe, échec scolaire...). Ceux là se rendent compte que les deux types de préoccupations sont peut-être liées. Les contacts avec les parents et les élèves dans le contexte d'une action revendicative inaugurent un autre type de relations qui facilite ensuite le contact pédagogique(16). Au cours des réunions intersyndicales, nous démontrons l'efficacité de nos méthodes de conduite de groupe. Enfin, cette action spectaculaire et assez réussie établit ce qu'il faut bien nommer un rapport de forces, tant à l'intérieur du collège qu'aux yeux des autorités académiques qui garderont de ce collège l'image d'un point chaud peuplé de militants combatifs.

Après l'action, deux collègues demandent à participer à nos réunions de concertation pédagogique. Nous inventons donc une structure susceptible de les accueillir.

Comment ouvrir un groupe sans faire de courants d'air ?

Lorsqu' un groupe s'enrichit de nouveaux membres, l'équilibre de ce dernier s'en trouve compromis. Même pleins de bonne volonté, voire de bonnes intentions, les arrivants ne se plient pas sans poser de questions aux usages établis (et heureusement !). Il faut donc consacrer du temps à expliquer ce qui pour les "anciens" va de soi. Et puis, nous étions jusque là quatre avec une formation et une référence commune à la Pédagogie Institutionnelle. Nous pensons n'avoir pas les moyens d'assurer la formation des collègues. Pour nous, c'est dans des stages qu'elle pourrait être reçue. Nous estimons qu'elle suppose une certaine distance et que des collègues d'un même établissement peuvent certes apporter une aide, mais sont mal placés pour susciter les transformations assez profondes nécessitées par la pratique de cette pédagogie qui demande une bonne connaissance de soi.

Après avoir discuté dans le "groupe des quatre" de la demande de nos deux collègues de participer à nos travaux, nous proposons donc plusieurs temps et plusieurs lieux : Notre réunion hebdomadaire reste fermée. Elle pourra s'ouvrir l'an prochain à qui voudra bien passer contrat avec le groupe et s'inscrire officiellement dans le cadre de l'expérience . Des réunions d'information et de travail sont organisées ponctuellement dans l'établissement à l'intention des collègues intéressés. Au cours de la réunion mensuelle du G.E.T. qui a lieu un samedi par mois, deux temps sont prévus :

1) De 9 h à midi, le G.E.T. "classique" se réunit en groupe fermé. Il s'agit de 6 enseignants pratiquant la pédagogie institutionnelle dans la région, apportant à cette réunion leurs expériences et leurs difficultés, leurs textes et leurs productions . Les règles de fonctionnement d'un tel groupe s'apparentent à celles d'un groupe Balint, avec quelques différences importantes, en particulier l'absence d'un analyste reconnu. Ici, les 4 du collège sont donc inclus dans un groupe plus large qui leur sert de recours extérieur.

2) De 13 h 30 à 19 h, le groupe s'ouvre à des collègues "intéressés et intéressants"(17). On y travaille essentiellement les outils pour la classe (18). Ce fonctionnement aboutit au fait que la demande de renouvellement de l'expérience pour 77/78 se fera en collaboration avec 2 nouvelles personnes : celles qui ont manifesté leur intérêt après l'action syndicale, et qui se joignent au groupe ouvert en cours d'année. La perspective de rentrée 77 avec une équipe de six nous sourit assez.

ANNEE 77/78

"Si ça me dit".

C'est d'un groupe de référence, d'un G.E.T. que je parlerai en premier lieu pour caractériser cette année-là : "Si ça me dit"...ce nom est à lui seul un programme. En effet, nous sommes six à nous réunir les samedis. Et nous avons programmé six réunions dans l'année. Notre tradition de nommer les groupes serait intéressante à analyser, tant dans les relations entre les noms des groupes et leur mode de fonctionnement, qu'entre le caractère des personnes d'un groupe et le nom qu'elles se donnent pour travailler ensemble. Ce groupe se nomme "Si ça me dit". Les jeux de mots agaçants pour ceux qui n'y voient que des effets faciles et des signes de complicité réservés au groupe constituent également notre signature philosophique : la recherche d'un sens latent à tout discours manifeste y est signifiée allègrement.

De ce Groupe , je n'ai conservé que quelques textes et je l'avais un peu oublié. C'est une année ou chacun fera ce qui lui chante. L'amour se glisse dans nos relations, avec ses tourments et ses tourmentes, ses fruits aussi. Marié avec ma collègue de français, (oui, celle avec qui j'ai lancé ce travail !) depuis mai 77, je serai surtout porté à la poésie. Nous attendons un enfant, et ceci explique peutêtre que les résultats pédagogiques de cette année scolaire se bornent à consolider les trouvailles et n'aient pas laissé de traces très nombreuses dans nos classeurs.

"Si ça me dit" ...je peux participer à ces réunions nombreuses et toujours intenses qui évoquent pour moi le creuset dans lequel bouillonnerait le mélange de nombreux ingrédients personnels et institutionnels, idéologiques et techniques. Cette combinaison rare s'échauffe peu à peu et produit, quand l'équilibre s'établit entre le savoir, le savoirfaire et le savoir être, de l'utopie créatrice. Consolider ici, cela signifie que nous développons la section syndicale, pratiquant, chaque fois qu'un problème se pose, une forme de démocratie directe : des assemblées générales du personnel, intersyndicales ouvertes également aux non syndiqués. Les sujets abordés dans ces assemblées n'émanent pas des directions syndicales mais sont dictés par les urgences et la nécessité locale. Ainsi, la nationalisation du collège qui était auparavant municipal a eu pour conséquence entre autres de faire nommer cinq femmes de ménage. Plusieurs interventions efficaces en leur faveur les incitent à adhérer à une exception près à la section S.G.E.N..

Premiers démêlés avec l'Inspection :

C'est en décembre 1977 que je reçois la visite de l'inspecteur de sciences naturelles. Il me connaît pour m'avoir déjà inspecté à deux reprises, en 1972 alors que j'étais encore maître auxiliaire et en 1975 comme agrégé débutant, stagiaire dans un grand lycée. Il m'avait attribué 14 comme note de début de carrière. Mes capacités pédagogiques étaient alors jugées "bonnes". Ce fonctionnaire me parait peu enclin à l'innovation. Il me fait remarquer que je ne fais plus ce fameux "cours dialogué" officiellement recommandé par l'inspection générale. Ensuite, il m'informe qu'il a été chargé de la tutelle de notre recherche, puis, après m'avoir dit qu'il ne pouvait pas juger mon travail sur ce qu'il avait vu, il m'annonce qu'il reviendra en janvier : il veut absolument que je fasse "un vrai cours."

A son second passage dans le collège, en janvier, je travaille avec des élèves de quatrième dite "aménagée". Ce sont des élèves issus de ce qu'on appelait à ce moment-là "transition" puis "voie III". Des enfants n'ayant pas pu entrer en sixième, mais jugés capables par les instituteurs avec lesquels ils travaillent toute la journée, ce qui les différencie des autres élèves du collège qui changent de professeurs toutes les heures. Réorientés vers le cycle dit normal du collège, ces élèves sont particulièrement réticents et résistent avec force et véhémence à tout ce qui peu ou prou les ennuie. Cependant, je fais un cours, comme on me l'a demandé. Durant l'entretien qui suit cette inspection, il me dit : "Vous avez perdu la main !". Il consent seulement à maintenir ma note pour, dit-il, "ne pas nuire à ma carrière". Mais c'est un rapport défavorable qui accompagne cette note maintenue.

Nous apprendrons par la suite, grâce à la bienveillance d'une inspectrice de français que sa tutelle sur notre expérience se bornera à donner un avis défavorable à la continuation d'un tel travail : il y aurait, selon lui, trop d'incompatibilité avec les pratiques recommandées dans sa matière, qui est aussi celle que je dois enseigner...

Un syndicalisme chaleureux

Au cours de cette année scolaire, se développe également la pratique régulière de ce qui se nomme "secteur S.G.E.N." : sur une superficie correspondant à la vaste agglomération dont W est une des banlieues, le syndicat tient des réunions mensuelles inter-degrés : ceci signifie que les personnes qui s'y rencontrent ne sont pas, comme c'était souvent le cas jusque là, séparées par catégories. Les instituteurs, les professeurs, les agents sont tous ensemble et les actions revendicatives issues de ce type d'assemblée prennent un caractère plus pédagogique ; on y évoque aussi les aspirations à des changements de structure des établissements. Nos recherches pédagogiques sont régulièrement relatées et nos démêlés administratifs examinés syndicalement.

Nous avons l'impression, en partie justifiée, d'être en position de force face aux obstacles que pourraient nous opposer des autorités administratives, des parents ou des collègues hostiles au travail coopératif ou à l'innovation pédagogique. En effet, dès qu'un problème survient dans la classe de l'un des participants à notre recherche, nous en sommes rapidement informés, ainsi que de très nombreuses personnes extérieures à notre groupe, prêtes et promptes à la solidarité. En revanche, une variable de situation mérite d'être signalée ici et deviendra par la suite cause de fragilité du groupe : notre cohésion repose notamment sur une sorte de convivialité. Nous avons très fréquemment des repas, des fêtes réunissant de manière très chaleureuse tous les collègues qui deviennent des amis. Le revers de cette médaille est l'apparition d'inimitiés personnelles dont les causes sont extérieures au travail. Dans les réunions d'équipe et dans les réunions syndicales, ces liens affectifs et ces antipathies s'avèrent peu à peu perturbants.

Vers un changement de tutelle.

Au cours du deuxième trimestre, nous recevons la visite de plusieurs inspecteurs. Avertis par le Principal de l'imminence de ces visites, nous avons envoyé une lettre à chacun de ceux qui inspectent les matières enseignées au sein de l'équipe. Nous les tenons ainsi informés de notre situation expérimentale. De plus, nous leur demandons de bien vouloir nous réunir en équipe préalablement à toute inspection pour leur expliquer collectivement comment nous travaillons. Dans l'ensemble, rien ne reste de ces inspections, à l'exception de l'une d'entre elles qui mérite d'être mentionnée spécialement : une inspectrice de lettres se déclare vivement intéressée par notre pédagogie. Elle passe une journée entière dans nos classes et vient même assister aux travaux dans les matières ne relevant pas de sa spécialité (sciences, anglais...). Avec un animateur du Centre Régional de Documentation Pédagogique , elle nous réunit et nous encourage chaleureusement à continuer. Nous lui confions nos inquiétudes concernant la visite de mon inspecteur et les menaces qu'il risque de faire peser sur la continuation de l'expérience, étant donné qu'il en est le tuteur officiel. Elle nous assure de son appui et nous annonce qu'elle tentera de nous faire changer de tutelle : il s'agit de quitter la recherche déconcentrée donc rectorale pour un cadre national, l'INRP (2). A la suite de cette visite, il est intéressant de noter qu'elle n'a renvoyé aucun rapport, ni modifié la note des professeurs de lettres : favorable, oui, mais pas au point de l'écrire dans un rapport. Elle demande à ces collègues de considérer son passage comme une visite amicale et non comme une inspection.

Habitat et Vie Sociale.

C'est au cours du mois de mai 78 que nous sommes un jour invités à une réunion dont le Principal dit qu'elle peut nous intéresser. Un




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