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COLLECTIF EUROPEEN
D'EQUIPES DE PEDAGOGIE INSTITUTIONNELLE
auteur : balat
date : 19 mai 2011

A propos de « Musement… » 

Extraits d'un texte de Michel Balat intitulé Le corps sémiotique qu'on peut lire à l'adresse suivante : http://www.balat.fr/Le-corps-semiotique.html

Le musement, de même que le Scribe, est une idée de Peirce, …mais aussi de Chrétien de Troyes, dans l'histoire de Perceval, le conte du Graal, le Graal qui est devenu religieux par la suite, mais qui n'a pas dans cet ouvrage cette dimension christique qu'on lui donne habituellement. Dans le conte du Graal il y a quelque chose de magnifique, vous croyez que le Graal est l'objet inatteignable, l'inaccessible étoile de Jacques Brel. Eh bien ce n'est pas vrai !

Perceval a déjà été en contact avec le Graal. L'histoire se passe dans le château du roi Pêcheur. Perceval arrive et voit passer devant lui des gens qui font des choses bizarres, l'un avec une lance au bout de laquelle gouttent des gouttes de sang, un autre transporte un objet, le Graal. Il était certes intrigué par la scène, sans doute des questions arrivaient, mais il n'en a posé aucune, un vrai petit obsessionnel.

C'est à partir de là que commence la quête du Graal, c'est-à-dire, de cet objet qui est un objet perdu, un vrai objet. Puis, Perceval dort avec Blanchefleur, vous savez comment, avec l'épée dans le mitan du lit, tout ça c'était très initiatique, et part à la recherche du roi Arthur. Et c'est là qu'arrive le musement, en chemin. Il y a une oie blessée qui laisse tomber trois gouttes de sang sur la neige. Perceval devant ces trois gouttes de sang est, ne dites pas médusé, stupéfait, ne dites rien de tout ça, il est en arrêt sur son cheval, appuyé sur sa lance, devant ces gouttes de sang, et là, il muse. Le verbe est de Chrétien de Troyes, en vieux français. Évidemment ce n'est pas traduit par muser, puisque c'est un mot qui n'existe pas en français dans ce sens-là, maintenant il faut qu'il existe, c'est indispensable. Il muse sur ces gouttes de sang. Au loin un chevalier du roi Arthur passe, qui le voit, et retourne chez le roi pour annoncer la nouvelle. C'est un nommé Keu qui va chercher Perceval, mais le maladroit se précipite sur Perceval et lui dit de venir. Mais Perceval musait sur les gouttes de sang, c'est une activité à temps plein, on ne peut pas faire autre chose, et Perceval tout en musant se bat avec Keu et le blesse. Ce dernier va voir le roi Arthur pour se plaindre, et c'est Gauvain qui propose d'aller chercher Perceval. Gauvain saisit qu'il se passe quelque chose de très important pour Perceval qui muse. Et ce n'est que lorsque les gouttes de sang ont fini par disparaître de la neige, que Perceval peut être approché. Gauvain vient "en oblique", pour respecter ce musement, et l'amène chez le roi Arthur. Astucieux. Sur le plan clinique, c'est très important : la manière dont on approche quelqu'un, ce ne peut être de plein fouet, parce qu'il est en train de muser. Le musement n'a pas d'étymologie, c'est bien, on peut en inventer une. Je ne suis pas le seul à avoir cherché à inventer une étymologie au musement, mais il y en a une qui me paraît sérieuse, c'est le même mot que muet pas le verbe muer de la mue, quoique, mais être muet, qui vient de museau, la moue. En latin être muet se disait faire mu, le musement est lié à la mutité, c'est une fonction du silence.
(…)

Qu'est-ce que cette fonction-là ? Nous voyons que dans son extrême c'est une fonction dans laquelle le cours de pensées n'est pas dévié, il est lié à la perception, créé ou au moins soutenu par elle, et c'est un état continu, de base, quelque chose qui est en développement continu. Le musement, si on essaie de le saisir sur le plan phénoménologique, c'est ce qui vous arrive quand vous êtes comme ça, arrêté, un peu hors du monde. Il y a une perception sur laquelle le musement se soutient, — toujours la question de la matérialité, — mais la perception c'est l'occasion du musement. Ça vous arrive tout le temps, tout à coup vous restez en arrêt devant quelque chose, vous ne savez pas quoi, vous ne savez même pas que vous regardez, mais vous êtes pris dans vos pensées, la perception agit comme une relance, comme une occasion de processus, et sans doute un processus continu. Ça ne cesse pas par le sommeil, même quand on dort nous continuons à muser. (…)

Vous en avez l'expérience, mais vous en avez surtout l'expérience quand vous le découvrez, parce que lorsque vous musez, vous ne savez pas que vous musez, vous êtes « en musement », mais vous ne savez pas que vous y êtes, vous ne pensez pas au musement que vous faites. Par quoi vous y accédez, que ce soit en pensée ou autrement ? Par un drôle de processus, à un moment donné, quelque chose vient faire obstacle à ce flot du musement. (…)

Le musement ce n'est pas quelque chose à quoi vous pensez : quand vous êtes dans le musement, et que vous n'êtes que dans le musement, vous ne pouvez avoir une idée de ce qu'est ce musement. Quand vous y pensez, d'une certaine façon vous n'êtes plus dans le musement puisque c'est une pensée consciente cette fois ci, mais quand vous en avez une pensée consciente, vous savez que vous avez musé. Musé, ça devrait toujours se mettre au passé où nous pouvons le reconstituer : « ah ! j'étais en train de penser à quelque chose, ah ! oui je pensais à ça, et puis avant cela je pensais à ça, » et vous vous retrouvez à faire un chemin de remontée dans le musement, ça c'est l'approche propre du musement par la pensée. On a certes une possibilité d'y accéder, mais le musement excède tout ce à quoi l'on peut accéder, parce que nous sentons bien que nous sommes devant un flot, quelque chose de continu. Ce musement-là, je ne peux le connaître que lorsqu'il est au passé, que dans un temps du passé, mais je ne peux pas le saisir évidemment ni dans le présent, puisque j'y suis, ni dans le futur puisque je ne sais pas ce que le musement va être.

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Messages de forum, sur le site de Michel Balat, à propos du texte « Le corps sémiotique » 
6 janvier 2008 10:30
Merci pour ce texte et bien d'autres amitiés
Michel EXERTIER (Collectif des équipes de pédagogie institutionnelle Paris)

6 janvier 2008 12:39
Merci ! Il est tellement rare que quelqu'un réagisse à mes trucs ! Amitiés Michel Balat




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