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COLLECTIF EUROPEEN
D'EQUIPES DE PEDAGOGIE INSTITUTIONNELLE
date : 19 octobre 2010
mots-clés : parole, violence, langage, limite

Moi aussi j'ai donné une gifle...

écrit par Mireille Maréchal

L 'air du temps… Moi aussi, j'ai donné une gifle … C'était en 1985, je crois ? Au Collège Diderot, à Nîmes.
Je ne me souviens plus très bien de la date, mais parfaitement de la gifle. En classe de 4ème de S.E.S. (actuellement
SEGPA ).
Il s'appelait Pascal D.
Un pauvre môme de 14 ans plutôt petit, plutôt malingre. Il arrivait de Nantes, où les Services sociaux l'avaient séparé de sa mère qui se prostituait. Son père était en prison. Ses grands parents, Nîmois, avaient bien voulu le prendre (ce qui ne veut pas dire l'accueillir). Il était insupportable et d'ailleurs personne ne le supportait. Toujours en mouvement, toujours agressif, jamais à sa place, qu'il ne pouvait trouver, encombré de tout ce que la vie lui faisait charrier… Il ne pouvait écouter, entendre, s'exprimer autrement que dans le refus, la colère, les coups. En échec scolaire massif, évidemment, en exclusions répétées
d'établissement en établissement.
Ce jour-là, il s'est précipité, en classe, sur un élève qui l'avait peut-être « traité » ou peut – être pas … Il s'est « engrainé ».
Depuis un moment, j'essayais de le calmer, sans succès. Je suis allée les séparer, le prenant par les épaules pour l'éloigner de l'autre élève, assis à son bureau. Pascal s'est dégagé d'un geste brusque, s'est tourné vers moi et a crié : «Toi, tu commences à m'emmerder ! »
La gifle est partie, claire, sonore et directe.
Le moment de sidération qui a suivi a figé toute la classe : les élèves ne me connaissaient pas sous cet angle et c'est tant mieux. C'était la première fois que cela arrivait. Ce fut aussi la dernière.
Après ce moment de stupeur, Pascal, enfin assis à son bureau m'a dit, très en colère :
« Je le dirai à ma grand-mère !
- J'espère bien que tu le lui diras, ai-je répondu.
- Oui, mais je dirai pour la gifle !
- C'est de la gifle que je veux que tu lui parles !
Tous les élèves étaient un peu interloqués. J'ai clos l'épisode en leur disant que nous ferions le lendemain un Conseil spécial pour régler tout cela (moyen de refroidissement : toujours différer le traitement d'un conflit). La sonnerie de midi nous a éparpillés.

A deux heures, j'avais la même classe : Pascal était absent. Rapidement, le Directeur de la S.E.S. arrive, visiblement troublé : la grand-mère de Pascal et Pascal étaient dans son bureau ; il parait que j'avais donné une gifle à Pascal, mais cela ne devait pas être vrai car il me connaissait, etc. …etc. … Je le « rassurais » tout de suite : c'était bien vrai ! Dans le bureau, après avoir salué, la grand-mère m'expliqua fort gênée que son petit-fils prétendait que je lui avais donné une gifle et que, bon, …j'avais pas vraiment le droit et que c'est pour ça qu'elle était venue tout de suite. Je lui répondis qu'elle avait bien fait et lui demandais si Pascal lui avait dit pourquoi . « Il faisait l'imbécile ?».
Ben non, il ne faisait pas l'imbécile, sinon nous aurions ri !

Je demandais à Pascal s'il voulait bien donner, là, à sa grand-mère et au Directeur, l'explication de mon geste. Comme il refusait, je lui ai proposé (et je me souviens encore des termes) :
« Je vais expliquer les raisons de cette gifle. Tu écoutes bien et si tu penses que je me trompe, ou que je ne dis pas la vérité, après ce sera à toi de parler et nous t'écouterons. »
Et j'ai dit : « Pascal m'a dit : toi, tu commences à m'emmerder. Je suis désolée, mais moi, personne ne me parle comme ça ! C'était Pascal en classe, c'est lui qui a pris la gifle, si c'était M. S. (le Directeur) ici dans son bureau, c'est lui qui la prenait , ou chez moi, mon mari, il aurait eu la même !
Petit à petit, Pascal qui depuis le début fixait attentivement ses lacets, avait levé les yeux vers moi. Je l'interrogeai : « J'ai dit la vérité ? »
Il a répondu oui, comme soulagé… et il s'est excusé, comme le lui a aussitôt demandé le Directeur.
La grand-mère a convenu qu'il avait dépassé les bornes et que la gifle, c'est le cas de le dire, était bien tombée ! Mais, a-t-elle demandé, que faire maintenant ? Elle craignait une nouvelle exclusion, je pense.
Le Directeur, un peu dépassé, m'a demandé mon avis.
Que faire ? Rien, c'est fait, tout est dit, compris. Pascal va revenir en classe avec moi et peut-être que nous allons pouvoir d'abord mieux vivre ensemble et ensuite travailler.

En mettant une parole vraie sur une situation de violence et en lui demandant son avis sur le contenu, j'ai réinséré Pascal dans le circuit du langage et l'ai inscrit comme interlocuteur valable.
En mettant de l'humain dans une situation qui en avait bien besoin (ce que je ne tolère pas de toi, je ne l'accepterais pas davantage des autres) j'en faisais un être à part entière, le traitant comme j'aurais traité les autres, lui qui si se sentait si marginal !
Il prend ainsi place dans le groupe-classe, mais aussi dans la société, dans l'universel. Son comportement en classe s'est (un peu) amélioré, comme s'il avait intégré une limite, ce qui fait toujours tomber l'angoisse.
En ne me justifiant pas sur mon geste, je montrais que je le savais interdit de même que l'étaient les propos de Pascal dans un code de bonne conduite et de « vivre ensemble ». Aujourd'hui, la gifle envoie en garde à vue, en correctionnelle. La Police remplace les mots, la justice va décider de ce qui est bon.
Allons-nous encore longtemps nous laisser dépouiller de nos paroles, de nos idées, de nos certitudes et de nos incertitudes aussi ?

Le fond de l'air effraie …

Paysages 2008-2009 Brochure du CEEPI (http://www.ceepi.org), Pratiques I - 11 / 16


 




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