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COLLECTIF EUROPEEN
D'EQUIPES DE PEDAGOGIE INSTITUTIONNELLE
date : 13 février 2010

 

Les cinq premières minutes en classe

 

ou comment commencer en essayant de ne pas trop se fourvoyer

 

 

                                                                                                  Philippe JUBIN

 

Ce texte est un document de travail. Il a été élaboré à partir d'une  pratique en SEGPA  de collège (Section d'Enseignement Général et Professionnel Adapté).

Utilisation privée, merci.

 

 

 

Les cinq premières minutes de classe ont un intérêt particulier même si ce démarrage n'augure pas, en lui-même, de la qualité de ce qui va suivre. L'organisation générale, la dynamique singulière du groupe, les histoires de chacun, les compétences de l'enseignant en didactique des disciplines, en pédagogie, son désir d'être là, d'être enseignant, l'inscription dans un projet, le sens construit par l'élève et bien d'autres éléments entrent dans l'alchimie du cours réussi, de la classe "qui marche".

L'objet de ce travail n'est pas d'analyser tous ces éléments.

Mais ces cinq premières minutes, quand elles ont été bâclées, quand des éléments simples n'ont pas été pris en compte, ces cinq premières minutes peuvent également barrer irrémédiablement la possibilité de travailler dans des conditions convenables. Faire cours, construire une classe (ce qui dépasse le faire cours) implique de travailler ces éléments constamment, toute la journée, toute l'année et d'abord dans le tout début des séquences.

Voici rapportés ici dix points que nous pensons pertinents de travailler dès les tous premiers moments de la rencontre pédagogique.

Remarque : il y a toujours un avant du début. Notre travail commence avec l'entrée en classe. Des questions ne seront pas abordées : comment les élèves sont-ils pris en charge ? L'enseignant est-il à l'heure ? L'enseignant est-il dehors avant la deuxième sonnerie si sonnerie il y a ? Va-t-il chercher les élèves ou leur fait-il signe de loin ? Le mode de rentrée dans les bâtiments est-il le même que pour le collège ? Au même moment ? L'enseignant commence-t-il à répondre à des questions, à prendre "des papiers" avant l'arrivée en classe ? Se préoccupe-t-il des déplacements du groupe ? A-t-il préparé la salle, le tableau (électronique ou pas), a-t-il monté les volets avant l'entrée des élèves ?

Toutes ces questions ont-elles fait l'objet d'échanges avec les collègues ? Y en a-t-il traces dans le projet d'établissement ?

 

1 Entrée

Quand la confusion règne en classe, lorsque l'on parle du français pendant les maths, lorsque les insultes partent sans prévenir, quand la loi de la cité entre dans la classe, rien ne va plus, plus ou moins dramatiquement, plus ou moins douloureusement. Pour aller contre cette confusion, marquons la rupture entre l'extérieur et l'intérieur, la rue et le collège, la cour de récréation et la classe, le cours de math et celui de français...

Distinction des lieux, des temps, des statuts : l'enseignant n'est pas le copain ou le surveillant, la salle de classe n'est pas le couloir ou la cour, le moment "cours magistral" n'est pas le moment de parole, "quoi de neuf ?" ou "causette". Cette distinction accompagne en permanence l'enseignement et se décline de différentes façons à travers différents dispositifs. A l'occasion de la rentrée en classe, là comme ailleurs, cette distinction peut être marquée et travaillée.

Comment se fait la rentrée en classe ?

A - Les élèves entrent comme ils veulent, c'est plus sympathique. Sans doute.

B - Je les attends à la porte, aucun élève ne rentre avant que j'en donne l'autorisation. Ils doivent être "rangés" (ce qui ne veut pas dire en rang par deux), j'attends le silence. Je dis "entrez" et ils entrent en silence sans se bousculer. Si ce n'est pas le cas, on avise, ils peuvent ressortir.

Comme ils entrent, le cours se fera, la classe se construira, alors je tiens à ce qu'ils entrent calmement, le plus calmement possible. Je fais en sorte d'avoir prise sur ce moment, je ne leur laisse pas faire ce qu'ils veulent et je marque ainsi la rupture : dehors, ce n'est pas dedans.

Banal ? Rigide ? Un détail qu'il est sûrement difficile d'obtenir dans certains collèges, avec certains groupes, mais une attitude qui témoigne de ma volonté de marquer l'entrée dans le lieu. Ici n'est pas un moulin.

Il ne s'agit pas de la discipline pour la discipline. Il s'agit de la distinction des lieux qui est aussi un travail civique sur l'institution de la loi, un rappel que les règles de ce lieu-là ne sont pas les règles du lieu d'avant. Si l'entrée en classe se passe calmement et "naturellement", plus avant dans l'année par exemple, peut-être n'y a-t-il pas besoin de ce rite de passage physique qui construit des repères en solennisant l'entrée dans un lieu aux règles particulières. Cette "cérémonie" est pertinente d'abord pour l'élève ou le groupe "hors la loi", "hors les règles". Elle peut commencer à reconstruire l'apaisement nécessaire au travail scolaire.

 

2 L'habit

Les casquettes, les blousons.

A - Ils les gardent, ou pas, ce n'est pas un problème, c'est plus sympa. Sans doute.

B - Ils peuvent aussi les enlever.

Si l'on pense qu'il est important de montrer que l'intérieur ce n'est pas l'extérieur et que les règles ne sont pas les mêmes, alors ils enlèveront leur casquette et leur vêtement de l'extérieur. Nous sommes dans les mêmes justifications que pour le point 1.

Et je ne commencerai pas le cours avant qu'ils aient enlevé leur anorak. Ce n'est pas pour les embêter, c'est également une condition du bon travail. Garder ses vêtements  du dehors, c'est dire, physiquement, que l'on est en transit, que la vraie vie est ailleurs, qu'ici n'a pas d'importance, qu'on est déjà équipé pour partir. C'est comme cela que je le comprends. On peut en parler mais ne leur en déplaise, leur vraie vie, pendant l'heure qui vient, elle est ici en classe et pas ailleurs.

Qu'est-il marqué dans le règlement intérieur du collège ? Suis-je capable d'exiger d'eux qu'ils enlèvent leur blouson ?

Moi-même, je ne fais pas classe en manteau avec mon chapeau et mon écharpe. C'est également une question de respect.

Je demande qu'ils enlèvent leurs vêtements de l'extérieur. Si je ne l'obtiens pas, je marque mon désaccord et quelque chose d'importent aura été perdu, ou différé, que je devrais essayer de regagner par ailleurs.

"Oui mais Mohamed, s'il garde son blouson, c'est que c'est une protection pour lui et ça ne l'empêche pas de travailler". On peut toujours trouver des cas particuliers. Toute situation est singulière. La prétendue protection du blouson gardé peut se travailler, se parler, mais ma position est claire et l'expérience tend à la renforcer. Ce faisant, au cours de l'année, lorsque l'ambiance aura évoluée… le problème sera résolu.

 

3 Le jeu de la loi

Ici c'est une classe, nous sommes là pour travailler. Voici une loi qui fonde le moment, le lieu et mon statut d'enseignant. Cette loi, on peut en parler mais on ne peut pas voter pour ou contre. C'est un fait qui dépasse tous les présents. Ici c'est une classe, qu'ils le veuillent ou non, que je le veuille ou non, avec toutes les conséquences que cela entraîne. C'est une loi fondatrice qui existe même quand elle est bafouée.

Alors certains enseignants l'écrivent sur une affiche placée dans la classe, en hauteur, en choisissant une formule pertinente par exemple : Ici c'est une classe, nous sommes là pour travailler, l'enseignant est là pour tous et chacun.

A - On le sait bien, ça va de soi. Sans doute.

B - Mais ce qui va de soi doit être souvent rappelé. Il est même urgent d'écrire cette loi parce que justement, elle est parfois/souvent oubliée ou remise en question. L'affiche comme un repère incontournable.

Ce n'est pas l'enseignant qui fait cette loi, c'est cette loi qui fait l'enseignant et l'élève, en leur donnant leur statut. On peut y réfléchir avec les élèves : travail autour de la loi extérieure qui fonde et qui, par conséquent, ouvre un espace (la classe) et autorise (le travail). On peut parler avec les élèves de la soumission à la loi, pas à la personne de l'enseignant mais à la loi de la nation qui, elle, ne dépend pas de notre bon plaisir du moment. L'élève qui a compris cela est mieux armé que celui qui se cogne continuellement à l'Autorité.

Quelle pédagogie adaptée pour construire cette compréhension, l'acceptation de ses propres limites ? Entre dix mille choses, une affiche qui rappelle à tout le monde : "Ici c'est une classe, nous sommes là pour travailler".

 

4 Bonjour

Est-il important de regarder chaque élève le matin (ou au début du cours dans la journée) et que chaque élève me regarde et que nos regards se croisent ?

A - Non. Alors commençons le cours directement.

A bis - Oui mais ça se fait "naturellement". Sans doute.

B - Mais je ne suis pas Super-Instit/prof des écoles et je sais que si je laisse faire le naturel, celui qui revient au galop, je risque d'oublier certains élèves, peut-être ceux qui en ont justement le plus besoin, d'être regardés, ce matin-là.

Alors j'institutionnalise un moment au cours duquel je vais être obligé de regarder chaque élève, sans en oublier, et au cours duquel je vais demander à chaque élève de me regarder. Un signe réciproque qui va permettre de se dire bonjour, de signifier à l'autre "je t'ai vu, je sais que tu es là, maintenant c'est la classe". C'est tout petit mais ça me semble très important.

Ce moment s'appelle "faire l'appel".

Faire l'appel, c'est les trois coups du théâtre, c'est le "il était une fois" du conte : ça ouvre la scène, le jeu peut commencer.

D'une obligation administrative je fais un moment de l'accueil. L'appel peut prendre également une dimension symbolique énorme car c'est la garantie que chaque élève sera appelé au moins une fois dans la journée par son prénom et son nom de famille, solennellement devant tout le monde. Ce n'est pas rien (reconnaissance et inscription). Prononcer le nom de famille, est-ce que ça ne devient pas finalement très rare au collège ? Là aussi la rupture avec l'extérieur (distinction) est marquée. En classe, nous sommes dans le social, pas dans le familial (lieu où un diminutif peut être utilisé) ou dans la bande (lieu où un surnom peut circuler). Une question : l'élève garde-t-il en classe le surnom de la bande ? Le diminutif familier ? Lui invente-t-on un surnom (Le Petit Chose) ?

A - Oui c'est plus sympa. Sans doute.

B - Ca va de soi ? Pas évident.  Francis Imbert a écrit de belles pages là-dessus (1).

Prononcer le nom de famille, provoque, les premières fois, une clarification des situations (y compris de la prononciation) et peut aider ceux qui ont des difficultés à assumer ce nom (la lignée symbolique, dix mille ans d'histoire familiale, c'est parfois un petit peu lourd). Faire l'appel permet d'être averti sur ces situations parfois douloureuses qui peuvent bloquer, permet de travailler au niveau de repères fondamentaux évidemment indispensables : le nom qui m'est propre, quel est-il ? Dans la déclaration des droits de l'enfant, le droit au nom arrive dès les premiers articles. D'une contrainte administrative, je fais un moment qui peut être émouvant, qui amène le calme si je solennise l'affaire. Depuis très longtemps maintenant, je ne fais plus l'appel en catimini. Ce serait nous priver d'un moment que tout le monde attend, au bout de quelques semaines. Et comment ne l'attendraient-ils pas ? Appeler l'autre, se faire appeler, ce sera peut-être la seule reconnaissance qu'ils auront dans leur journée. Ne leur enlevons pas ce plaisir. Marquer les absents c'est obligatoire. Faire l'appel, c'est autre chose. Et puis on n'est pas non plus obligé d'inclure le nom de la famille dans l'appel si cette pratique parait par trop décalée et de faire tout le cinéma évoqué. Et puis un élève peut être responsable de l'appel. S'autres choses se jouent alors.

Faire l'appel montre également que si un jour l'élève est absent, cette absence sera marquée : son nom sera prononcé et on dira "absent" et ce sera écrit, en prenant le temps. On ne fera pas semblant de rien. C'est rassurant. Quelque part il compte, l'absent. Voilà peut-être une question de fond liée à la construction du sens de la présence : "Est-ce que je compte dans cette classe, avec ce professeur ?" La façon dont on traite les absents est extrêmement importante pour les présents.

"Mais vous voyez bien que je suis là". Sans doute.

Sa réponse "Présent" et son regard vont mieux me signifier qu'en effet, il est là. C'est un petit plus. J'aurais pu ne rien lui demander, j'aurais pu le marquer présent "dans son dos". Mais j'aurai sûrement été obligé alors de vérifier d'une autre façon qu'il était vraiment là, à moins qu'il ne choisisse, lui, une manière toute personnelle de me le dire (conflit ou agression). Ce n'est pas la peine de les provoquer. Nous ne disons pas qu'instituer une cérémonie de l'appel (il y a bien une cérémonie du thé) règle tous les problèmes de violence. Nous pensons en revanche que faire l'appel solennellement contribue, modestement, à ce que certains élèves se sentent un peu accueillis et que d'autres ne se sentent pas obligés de manifester leur présence d'une façon incongrue trop rapidement. Et ce sont parfois les mêmes.

 

5 Place

Un détail : chacun a-t-il sa place réservée et garantie dans la classe ?

A - Non, chacun s'assoit où il veut, c'est plus sympa. Sans doute.

B - Mais ce sont alors surtout les plus forts qui s'assoient où ils veulent (l'enseignant d'abord, qui, lui, a son bureau garanti, puis les costauds de la classe). Comment barrer la loi de la jungle, la loi du plus fort, celle qui est à l'œuvre chaque fois que les choses se font "naturellement" ? (La pédagogie serait-elle un travail contre nature ?).

Dans ma classe, chacun s'assoit à sa place et pas à une autre (même si l'on ne vient dans ce lieu qu'une fois par semaine). J'ai mon bureau, ils ont le leur. Et la place des absents est préservée. On n'a pas le droit d'en disposer "comme on veut". Là aussi, l'absent sait qu'en classe, là-bas, il continue à être présent même s'il est absent, et qu'on le respect à travers sa place qui est respectée. Ce n'est pas grand chose, ça peut être essentiel pour un élève, un jour. Quelque chose de l'ordre d'une inscription là aussi (l'élève "tout le temps absent" aimerait peut-être qu'on prenne sa place, qu'on ne l'inscrive pas sur les registres et qu'on ne pointe pas son absence ; se faire oublier...).

Préserver les places, c'est garantir l'espace de chaque élève. Ce n'est pas rien. Moins d'angoisse pour la petite fille de 6e qui n'a plus à s'inquiéter à propos de qui viendra à côté d'elle. La course pour avoir les places convoitées devient inutile. Même si je rentre le dernier, personne ne sera assis à ma place et s'il y a quelqu'un, l'enseignant interviendra, il ne m'abandonnera pas seul face à l'agresseur. Il est le garant de cette règle simple mais essentielle : chacun a une place qui lui est garantie.

Revenir à la même place, permet déjà de commencer à habiter le lieu, de s'inscrire dedans. Et sur cette première inscription, d'autres vont pouvoir se construire. La garantie de la place comme un besoin naturel pour pouvoir passer à autre chose, au travail par exemple.

 

6 Programme

Mais qu'est-ce qu'on va faire ce matin ? Qu'est-ce qu'on va faire aujourd'hui ?

Il y a ceux qui se posent la question et ceux qui ne se la posent pas.

Pour ces deux catégories d'élèves, il est urgent de répondre, surtout pour ceux qui ne se posent pas la question.

A - Mais de toute façon ils le savent bien. Sans doute.

B - Pour éviter la foire, j'organise mon début de cours (et la suite aussi mais c'est une autre histoire). Ce n'est pas tellement la foire que je traite d'ailleurs mais une de ses composantes : l'angoisse ? C'est fantastique en pédagogie comme une action rebondit sur plusieurs niveaux. On croit mener une obligation administrative d'appel et on travaille la lignée symbolique, on croit annoncer le programme et on travaille l'angoisse.

Sur le tableau, ou sur une affiche, sous la date : "Point administratif". Ici se traitent toutes les questions de papiers, d'autorisation, de cantine...

Ici et ici seulement. L'espace et le temps sont ouverts, ritualisés. Je donne la parole (en début d'année, je mène cette tâche ; ensuite…), je commence par dire ce que j'ai à dire (point important si je suis professeur principal). Si je n'ai rien à dire, ce point est quand même inscrit et je dis : "Je n'ai rien à dire. Y a-t-il des questions, des informations ?".

D'autres années, ce sont les élèves qui commencent…

Au début de tous les cours, tous les jours : "Point administratif" (5 minutes ou 30 secondes).

Cette ritualisation de l'entrée en classe, qui arrive après toutes les autres (nous sommes déjà en classe depuis au moins 2 ou 3 minutes) rassure et apaise.

Ah, le parasitage par des questions qui n'ont rien à voir ! Et si ce parasitage arrive en plein cours de math, suis-je capable de répondre : "dommage que tu n'aies pas posé cette question au bon moment, rendez-vous demain" ou bien est-ce que je verse dans le discours moralisateur "tu aurais dû poser cette question tout à l'heure, tu exagères, ce n'est pas sérieux mais enfin donne tes 10 euros, puisque tu es le premier à amener l'argent pour les photos, je vais le prendre parce que tu risques de le perdre..." Ah, les élèves qui savent nous placer dans une situation où on a à les sauver de la fin du monde !

Dans le premier cas, j'ai joué quelque chose d'éducatif : rapports inter-individuels médiatisés par la règle commune qui peut s'énoncer : le point administratif est là pour régler les questions administratives. Dans le deuxième cas, j'ai été sympa, j'ai joué les pères (mères) sauveurs, ce qui peut être valorisant pour moi (je sers à quelque chose, l'autre m'est assujetti) mais qui pour lui ne l'a absolument pas perturbé dans ses fondamentaux d'assistanat et d'insouciance.

Les élèves attendent-ils de nous que l'on soit sympa ?

Est-ce que ça apprend à lire d'être sympa ? Il faudrait creuser. Sympathie, respect, politesse, empathie… tous ces termes ne se valent pas.

Lorsque le point administratif est terminé, je lis ce qui est écrit en dessous : cahier de texte/agenda. Ensuite viendra le programme.

 

7 Cahier de textes

A - «il est un peu tard pour ouvrir son cahier de textes, et puis ils le savent bien ce qui est écrit dessus. Ceux qui ne font pas leur travail, c'est qu'ils le veulent bien». Certes

B - Donc sous «Point administratif», «Cahier de textes/agenda». Un élève va lire tout fort, à la classe, ce qu'il y a d'écrit sur son cahier de textes, pour ce cours-là, systématiquement puisque «cahier de textes» est marqué sur le tableau/affiche au début de chaque cours, le 15 septembre comme le 20 juin. Et s'il n'y a rien à lire, ça peut arriver, l'élève annonce «rien», mais après l'avoir vérifié.

On refait en classe ce que tout élève doit faire chez lui, le soir, mais que tout élève ne fait pas. Comme un entraînement systématique, une aide sérieuse pour ceux qui n'ont pas envie de le faire chez eux, pour ceux qui ne le font pas. Ils s'aperçoivent que ce n'est pas si difficile. Ils savent qu'avec ce prof, ils n'y couperont pas : il fera relire tout fort un cahier de textes au début du cours. Prise de tête. Il sera un peu plus difficile de dire : «je savais pas».

Et d'un seul coup, ceux qui sont largués se remémoreront le cours précédent.

L'enseignant et les élèves se mettent en fait d'accord sur ce qu'il y a avait à faire puisque c'est écrit sur un cahier de textes élève. Ça leur montre que l'enseignant accorde de l'importance à ce qui est noté par l'élève. Une attention particulière. Et puis on voit ceux qui ne sont pas capables de se relire. Comment pourraient-ils faire correctement leur travail ? Il peut y avoir aussi la projection de ce qui a été écrit dans le cahier de textes électronique. Ce qui est important ici, c'est la mise en commun.

Ce qui est écrit sur un agenda supprime les contestations : «Ah M'sieur, vous nous l'aviez pas dit», toujours possible quand la lecture se fait à partir du cahier de textes classe ou quand l'enseignant dit beaucoup mais ne fait pas écrire. Et puis je peux moi-même avoir oublié de donner un exercice que j'avais pourtant préparé et que j'étais persuadé avoir fait marquer. Et puis on peut tomber sur un élève qui n'a pas tout écrit : «M'sieur y avait aussi recopier le texte...».

Bref, ce petit moment, ça peut durer 50 secondes est une éducation à la tenue du cahier de textes/lecture du cahier électronique. Si on s'est mis d'accord sur ce qu'il y avait à faire pour aujourd'hui, alors on peut commencer. Et puis ça permet aux élèves d'utiliser leur cahier de textes ou leur agenda non pas seulement pour écrire le travail à faire, ce qui est l'utilisation habituelle en classe, mais de l'utiliser «comme à la maison», dans la fonction de restitution. Et comme ça se passe en classe,  on boucle ainsi l'éducation à l'utilisation de ce cahier/agenda. Il me semble que c'est bon entre autre pour les élèves qui n'ont pas leur maman qui les attends à 16h30 avec un grand bol de chocolat et des tartines, et qui leur demande ensuite de leur montrer le travail à faire. Ce n'est pas mal pour ces élèves de relire le cahier de textes, systématiquement, en classe.

C'est aussi un travail sur l'inscription dans le temps. Se projeter à une semaine de là. Le jour J, ressortir ce qui est écrit depuis une semaine, jeu de projection en avant, jeu de restitution du passé «Ah ouai, j'avais oublié» dit spontanément l'élève qui n'a pas regardé son agenda mais qui le regrette déjà. «On ne te demande pas de te souvenir de tout, le cahier de textes est là pour t'aider (et te rassurer)». Le travail à faire est marqué et de fait, l'enseignant ne peut pas exiger plus. C'est un contrat passé. De la pédagogie du contrat dans l'utilisation du cahier de textes.

Une aide aux élèves les plus en difficulté. Ah les cahiers de textes/agenda vides parce que «de toutes les façons ils le savent bien que tous les jeudis il faut qu'ils écrivent un texte...». Irrespect fondamental pour les élèves qui justement ont le plus de mal à le savoir. Pédagogie du tacite qui permet toutes les manipulations. Angoisse inutile : «j'ai rien écrit mais y avait quelque chose à faire, je sais plus quoi...». Sur-responsabilisation de l'élève due à notre propre négligence. « t'as du travail à faire ce soir ? Non non j'ai rien, regarde mon cahier de textes, y'a rien d'écrit ». Et les parents apprennent, à la réunion du mois de  mai, qu'il y avait du travail et « qu'il le savait bien » ce fils qui pense rien qu'à jouer. « Vous voyez, comme il est votre fils, quand même !  Vous cacher qu'il avait du travail et nous qui faisons tout pour lui, vraiment enfin bon...» trois points de suspension, quatre points d'exclamation, suivez mon regard au plafond, mes sourcils remontés et mon hochement de tête. Nous qui faisons tout ? Pas sûr. Enfin une chose que je ne fais pas c'est participer à l'éducation à la lecture du cahier de textes/aganda si je ne fais rien marquer dessus. Je laisse ça aux collègues, je ne me sens pas concerné(e).

Car faciliter les dérives en laissant l'élève sans rappel écrit c'est un peu facile.
La phrase qui dit le travail, c'est un peu de la présence de l'enseignant en dehors de la classe. C'est un travail de l'écrit, de l'importance de l'écrit. Pour des élèves où la culture orale est forte, un vrai effort.

Bref, là aussi une petite cérémonie de rien du tout qui permet de mettre en œuvre des choses fondamentales, au fondement de la vie scolaire.

Après «cahier de textes/agenda», le programme de la matinée ou des deux heures, ou de l'heure à venir. Il est écrit au tableau, Et ce programme est en accord avec l'emploi du temps.

 

8 Affichages, emploi du temps

Un détail, rien que des détails : l'emploi du temps est-il marqué quelque part dans la classe, visible de loin ?

A - "Ce n'est pas utile, ils le connaissent et puis il y a 4 ou 6 classes qui passent ici ...". Sans doute.

Mais ce n'est pas la question, il y a toujours de très bonnes raisons pour ne pas faire. Est-il important qu'il y ait l'emploi du temps dans la classe oui ou non, dans l'absolu, indépendamment des difficultés de terrain ?

B - Pour moi, ça me paraît de l'ordre du détail essentiel.

L'emploi du temps visible, c'est comme une mise en image de la loi. A cette heure-là : mathématique, je suis le prof de math : bonjour. Et l'emploi du temps me rappelle à moi, pas seulement aux élèves, qu'à cette heure-là je dois faire math et pas débat sur le film d'hier soir.

Oui mais c'est tellement sympa de parler de ce que l'on veut quand on le veut, jusqu'à ce que l'enseignant en ait marre et fasse une grosse colère (si un lieu et un temps existent pour parler du film de la veille, il devient plus incongru d'en parler pendant le cours de math, évidence).

Mais comment faire pour afficher l'emploi du temps ?

Pratiquement, sur mon panneau d'affichage, j'ai un cadre fixe où il est écrit Emploi du temps. A l'intérieur deux crochets. A chaque changement de classe, j'enlève la chemise cartonnée ouverte qui y est accrochée et sur laquelle il y a l'emploi du temps de la classe qui part pour placer celle de la classe qui arrive.

Chaque classe entre ainsi dans une salle différente du cours d'avant (un autre détail), son emploi du temps est affiché, lisible.

Une idée à la suite de la précédente : est-il préférable que les élèves entrent dans une salle qui semble les attendre ou dans une salle impersonnelle qui ne change jamais, quel que soit le public, quelles que soient les années, éventuellement avec le tableau rempli de la leçon précédente ? La réponse n'est pas simple. Elle suppose d'abord que c'est l'enseignant qui ait "sa" salle. A qui appartient la salle ? Les classes de 6e doivent avoir leur salle dans les collèges. Une salle de cours n'est pas une salle de classe. Une salle habitée, investie, se sent, question d'ambiance. Comme une salle négligée, avec ses affichages défraîchis des années passées : l'enseignant n'y fait que passer, comme les élèves (pourquoi enlèveraient-ils alors leurs anoraks ?). Mais l'investissement par l'enseignant suffit-il à garantir que les élèves vont s'y sentir "bien" ? Mais n'avons-nous jamais connu, en tant qu'élève, dans des lieux totalement anonymes, des moments fantastiques où on découvrait Verlaine ou Pythagore ?

Ca ne veut pas dire que tout est dans tout et que tout se vaut.

Le tableau peut être préparé avant le cours. Des affichages spécifiques peuvent être placés. Il suffit pour cela de rassembler deux conditions :

       1 - que les affichages concernés soient faits par un système de crochets (afin de les placer ou de les enlever rapidement).

·       2 - que je prenne le temps, avant le cours, pour mettre ces affichages et préparer le tableau, au moins l'effacer (l'éteindre).

Exemple pour un cours de math :

Cinq fiches cartonnées A4 horizontales dans des plastiques transparents. Un système de crochets : 3 secondes pour les enlever, 3 secondes pour mettre les suivantes.

Que disent ces 5 affiches ?

          Une pour le choix fait par chaque élève, pour la prochaine évaluation, en fichier opérations.

          Une pour les résultats du LOTO, un jeu mathématique fait chaque semaine et dont les résultats sont cumulatifs.

          Une qui montre le dessin géométrique de la semaine.

          Une qui s'intitule "J'ai à dire" et qui prépare le prochain Conseil.

          Une qui donne le nom des responsabilités et celui de leur titulaire.

 

Quand les 6e entrent dans la salle, une fois par semaine, pour deux heures d'Histoire-Géographie-Monde Actuel, toutes les affiches des 4e/3e ont été enlevées. Mais il y a les leurs, spécifiques. "Bienvenue, je vous attendais".

 

9 Responsabilités

 

Le nom des responsables. Voilà une sacrée inscription. Y a-t-il des responsabilités dans ma classe ? Les élèves ont-ils la possibilité de prendre des responsabilités ? Un élève qui est responsable "pour aller chercher les tarifs du train pour Paris" dans le projet Sortie au Louvre, qui est responsable pour "donner à manger aux poissons" ou qui est responsable ordinateurs marque par là l'intérêt qu'il porte à la classe. Ces différentes inscriptions laissent à penser qu'il est bien parti pour construire du sens et pour devenir acteur de sa propre formation.

Le système des responsabilités peut offrir des possibilités d'accroches à tous les élèves donc aux plus démunis (qui sont parfois les plus rebelles). Il structure concrètement la "vie de la classe" et facilite l'organisation du temps de l'apprentissage (voir le texte "responsabilité" sur ce même site).

 

10 Sorties de classe

Un détail : les élèves ont-ils le droit de sortir de la classe ?

"Ah ! M'sieur je peux aller porter mes conventions à la directrice ?"

A - "Oui, vas-y, mais ne traîne pas dans les couloirs".

La SEGPA comme un lieu de vie, où je fais ce que j'ai à faire quand j'en ai envie, quand j'y pense, c'est sympa. Sans doute. Dans la vraie vie, c'est un peu plus compliqué.

B - Le problème c'est que la SEGPA n'est pas, en premier, un lieu de vie (provocation que de dire cela ?). C'est un lieu d'enseignement, d'éducation et de formation.

Le "je fais qu'est-ce que je veux" (comme ils disent) à propos des papiers administratifs ou d'autres choses (l'insulte, le coup de poing dans le nez du voisin...) n'a jamais été un projet très génial pour grandir. Le fantasme de la toute puissance imaginaire, c'est un peu infantile. Nous sommes là pour le barrer : au fondement, tout n'est pas possible.

Surseoir fait penser. Savoir différer donne une grande liberté. On dépasse le stade de la pulsion. Dolto a écrit des choses intéressantes là-dessus. Ce qui est vrai pour la violence l'est également pour les conventions de stage à porter à la directrice (il parait qu'il y a un « point administratif » au début de la journée ou de la séquence).

Et si différer ses envies de porter un papier parce qu'on y pense là maintenant c'était commencer à traiter la violence dans la classe ? Vaste sujet.

Une autre dimension du problème nous dit que dans les collèges de France (dans d'autres pays, ça s'organise autrement), il est interdit aux élèves de sortir de la classe et de se "promener" dans les couloirs.  

Alors la SEGPA hors la loi ? Oui mais c'est tellement sympa. Sans doute. (Un thème cher à Bernard Defrance : l'enseignant éducateur civique, lui-même hors la loi)

Le problème également c'est que je place l'élève en pleine injonction paradoxale : "il est interdit de sortir (le règlement du collège) mais je t'autorise (moi l'enseignant)". Il paraît que celui qui interdit mais qui tolère, amène l'angoisse chez l'élève. Qui a bien pu dire cela ? (2)

Il ne s'agit pas de vouloir supprimer systématiquement l'angoisse, il s'agit d'éviter d'en ajouter deux ou trois couches à chaque fois. A la longue, ça pourrait finir par inhiber un petit peu, ça pourrait finir par casser toute possibilité pour l'élève de trouver le moindre sens à sa présence dans cette classe.

Il ne s'agit pas d'embêter l'élève non plus, où d'appliquer un règlement d'une façon rigide. Il s'agit, là comme ailleurs, de prendre cette situation très banale de l'élève qui a quelque chose à faire en dehors de la classe pour l'aider à grandir. En l'occurrence, il s'agit de travailler son rapport à ses envies, à ses pulsions en les médiatisant par la règle en vigueur dans le lieu où on est. Est-ce important ? Je le crois. Ceux qui savent manier tout cela sont plus libres que ceux qui croient faire ce qu'ils veulent quand ils le veulent. La vie saura vite les ramener sur terre. Pourquoi ne pas entraîner ceux qui n'ont pas reçu cette éducation chez eux, pourquoi leur refuser un galop d'essai au collège, par exemple à propos du papier que l'on doit absolument, c'est très urgent, c'est toujours très urgent, porter chez la directrice ?

Je peux passer là-dessus et donner l'autorisation de sortir, personne n'en mourra mais j'aurai perdu une belle occasion de jouer une confrontation à la règle, sans biaiser.

Car en annexe se pose évidemment la question du "où s'arrêter ? "

A : "Mais ils le savent bien et ils sont corrects, ils n'insistent pas" réponse facile qui signifie que le problème est résolu parce que d'autres ont fait ailleurs le travail  (la famille ?). Mais s'ils ne sont pas corrects, s'ils insistent et si le problème n'est pas résolu ? S'ils n'arrêtent pas et s'ils chahutent dans les couloirs ? (situation banale dans une SEGPA de base, chahuter étant un verbe gentil).

"Oui mais ce ne sont que ceux qui sont sérieux qui sont autorisés à sortir".

Ah bon, vous ne faites sortir que ceux qui ont eu des parents suffisamment mobilisés, ayant eu à cœur d'inculquer les bonnes manières à leur enfant ? Faut-il être bien né pour avoir des avantages en classe ?"

Etc., etc.

Le débat est sans fin quand la règle ne fait plus médiation.

Pour sortir d'un cours, dans tous les collèges, il existe une procédure. Est-elle appliquée dans ma classe ?

 

Fin du dixième point.

Nous allons suspendre là le catalogue. Le cours n'est pas encore commencé que déjà le "faire classe" se met en place. Faire classe. Faire la classe. Faire en sorte qu'on passe de la horde à la classe. Historiquement, l'humanité a mis paraît-il quelque temps pour réaliser ce passage. L'enseignant de SEGPA a cinq minutes tous les jours, voire plusieurs fois par jour, pour réaliser le prodige.

Les dix points présentés ci-dessus peuvent l'y aider.

Ni interdit ni obligatoire cela devient possible. Possible ?(3)

 

 

                                                                               Philippe Jubin            mai 2005, mai 2012, octobre 2015

 

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(1) IMBERT, Francis, Vivre ensemble, un enjeu pour l'école, ESF éditeur, 1998, pp 45-65 : des prénoms et des noms.

(2) Fernand OURY, de la classe coopérative à la pédagogie institutionnelle (Aïda Vasquez, Fernand Oury), livre réédité en 2000 par les Editions Matrice et le CEPI, voir information sur ce site.

(3) Françoise et Michel Exertier, voir sur ce site.




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