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COLLECTIF EUROPEEN
D'EQUIPES DE PEDAGOGIE INSTITUTIONNELLE
date : année 2006-2007

Dans une classe institutrice

Une classe de 5e qui travaille en P.I., dans une SEGPA1, un Conseil, le moment des responsabilités. Une fille lève la main, toute timide : «Je demande à être responsable pour effacer le tableau».

Un autre élève : «C'est une responsabilité qui n'existe pas».

L'enseignante (présidente): «Cette responsabilité n'existe pas mais Nathalie se propose dans le bon lieu, au bon moment et nous pouvons décider que ce sera une nouvelle responsabilité. Qui serait contre ?» Personne.

«Qui serait contre que ce soit Nathalie la responsable pour effacer le tableau?» Personne.

« Nathalie tu es responsable pour effacer le tableau, c'est inscrit.»

Nathalie relève la main : «Je voudrais être responsable pour effacer le tableau mais seulement le lundi».

Rumeur dans la classe, sourires : «Stop ! Nathalie propose d'être responsable pour effacer le tableau seulement le lundi. Qui serait contre ?» Personne. «Nathalie tu es responsable pour effacer le tableau, le lundi.» Et cela s'inscrit sur l'affiche des responsabilités : le nom de la responsabilité, le nom de la responsable, le lundi.

Depuis le début de l'année, Nathalie n'avait jamais pris de responsabilité. Ce conseil avait lieu le 15 juin, il restait deux semaines de classe.

Marie Delaneau

 
 

Quand la main se lève pour demander à être responsable pour effacer le tableau seulement le lundi, quinze jours avant la fin de l'année, les copains ont envie de sourire. Quelqu'un d'extérieur, un inspecteur pressé qui regarderait la classe comme une collection d'individus, sans histoire au singulier, sans histoires singulières, cet inspecteur pourrait également sourire : la P.I., ce n'est vraiment pas grand-chose, beaucoup de bruit pour rien.

Oui  mais voilà, l'institutrice de cette classe là a eu le souci du singulier.

Depuis le début de l'année, chaque semaine, le conseil existe et avec lui ce moment « responsabilités ». L'institution a tenu, ouvrant une possibilité à investir, la possibilité d'une déclaration. Rien à voir avec la distribution autoritaire des tâches de la semaine, par un enseignant pressé mais qui écrase, au nom de l'organisationnel et de l'efficacité, les cheminements invisibles.

Ici, on a fait du sérieux dans un cadre suffisamment sécurisant, suffisamment respectueux des personnes et de leur parole pour que l'on puisse essayer de s'essayer, seulement le lundi.

Tout le maillage institutionnel de la classe contribue à la possibilité de prendre des responsabilités mais c'est le conseil, lieu où la parole engage, qui a permis cet acte de passage.

On peut penser que l'engagement public de l'élève fait suite à une décision intime en rupture : «  je ne serai plus passive, je demande à être responsable». Qu'est-ce qu'on risque ainsi ? Qu'est-ce qu'on risque de perdre ? Peut-être un peu de sa toute puissance imaginaire au profit d'un pouvoir limité mais réel, d'une place reconnue. On peut penser… La PI, ça donne à penser en effet.

Et cette décision, pour devenir opérante, a dû être déclarée. Elle nécessite la présence de l'autre, une présence médiatisée, à l'opposé de l'ensauvagement généralisé. Un engagement qui se distingue des paroles qui «surfent » sur tout, qui se distingue des «c'est pas grave», «ça ira bien» destructeurs, bases de toutes les nécropoles.

La décision a pris sens devant le conseil.

Et l'inscription du nom qui est également une inscription dans le temps a permis de dépasser l'instant : on prend rendez-vous avec ce même conseil, quand il faudra rendre compte de sa responsabilité. La décision de s'engager est l'aboutissement d'un processus, la déclaration le début d'autre chose, l'amorce d'un rythme en quelque sorte.

Ce faisant, le conseil va remplir la fonction symbolique de soutenir l'inscription dans un réseau d'échanges et de partage, l'inscription qui permettra de parler en tant que responsable, un parmi les autres.


La PI comme travail du contexte qui permet à certains événements d'advenir, qui permet à des élèves perdus de se raccrocher. 
Et des événements de parole, d'engagement, d'inscription symbolique, ce n'est pas rien. Pourtant, effacer le tableau, ce n'est pas une tâche très valorisante. A ce moment, c'est devenu essentiel.

Peut-être que la vie de cette élève a été changée par cet acte qu'elle s'est autorisée à poser, quinze jours avant la sortie. Peut-être pas. L'échéance était là. Et parce que nous faisons l'hypothèse basique de l'inconscient dans la classe, nous savons qu'en fait, nous ne pouvons pas en dire grand-chose de cet acte là2Il nous plait de croire qu'après n'a pas été comme avant.

Pourquoi est-ce arrivé ? Quel cheminement a suivi Nathalie ? Une écriture monographique pourrait tenter de délier quelques nœuds mais en l'état, le jour où ça arrive, l'institutrice repère qu'il s'est peut-être joué là quelque chose d'important.

Combien d'événements se passent ainsi durant une journée dans ces classes « institutrices », événement qui ne sont attrapés ni par les regards ni par les paroles ?

L'essentiel échappe à tout discours, par essence réducteur. Le vrai travail est invisible nous dit Jean Oury. L'hypothèse de l'inconscient prend une dimension éthique quand cette échappée entrouvre le refermement du système.

Alors une main peut se lever, quelques instants avant que le rideau ne tombe.

 
Philippe Jubin CEÉPI
1 SEGPA : les classes « spéciales » du collège pour « élèves en très grande difficulté ».
2 Caus'Actes… C'est ainsi, au CEÉPI, que certains se reconnaissent et s'assemblent pour essayer d'élaborer ce qui professionnellement les travaille.



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