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COLLECTIF EUROPEEN
D'EQUIPES DE PEDAGOGIE INSTITUTIONNELLE
date : décembre 2009

Tenter Plus : une expérience de formation d'enseignants avec la PI

Claudine Kefer, pour l'équipe de Tenter Plus
Nous sommes à Liège, dans un institut de formation initiale de futurs professeurs de collège en histoire-géographie ; en Belgique, cette formation dure trois ans, au cours desquels alternent cours théoriques et stages actifs.
1. À l'origine
A l'origine, de profonds désirs de changement, ou du désir de profond changement. Pourquoi changer ? Parce que nous en avions ras-le-bol de cette position où nous disions à nos étudiants, futurs enseignants, comment agir dans leurs classes, alors que nous ne mettions pas en pratique, ou si peu, ce que nous recommandions : responsabilisation des élèves, travail de la coopération, pédagogie active, etc., etc. Ras-le-bol aussi de subir sans moufter les injonctions toujours plus contraignantes de l'administration, d'être objet dans une institution immuable. Nos désirs étaient forts de devenir sujets d'un instituant, de reprendre du pouvoir sur notre travail en construisant un vrai projet commun, et de rendre sujets et instituants ces futurs enseignants que sont nos étudiants.
2. Création d'une classe coopérative verticale pour la rentrée 2004
C'est à un travail de déconstruction / reconstruction de la grille du temps que nous nous sommes attelés concrètement. La classe coopérative verticale est une structure qui regroupe dans un même espace-temps tous les étudiants des trois années et tous les enseignants de toutes les disciplines1, avec tous leurs cours. Dans cette structure, les cours classiques sont remplacés par un ensemble d'activités qui poursuivent les mêmes objectifs que ces cours officiels. Cet ensemble d'activités est structuré en trois types de temps : des temps d'apprentissage (eux-mêmes divisés en temps de projets collectifs, en temps de travail autonome et en temps de structuration des apprentissages), des temps d'expression (un Point de la semaine, par exemple), des temps de décision et d'organisation collectives (divers Conseils sont instaurés).
Cette architecture nous paraît réellement fondée sur les apports de Freinet et d'Oury. D'abord ce premier fondement : faire en classe un travail véritable, utile socialement, une vraie production pour un destinataire réel2 ; ensuite, le soin accordé à l'organisation matérielle, spatiale et temporelle3 ; enfin, l'adaptation à notre situation de certaines techniques comme la correspondance ou le plan de travail, etc. et des institutions, comme le Je critique-Je félicite ou le Quoi d'Neuf ?.
3. Mise au point progressive
Les premières années furent marquées par une série d'ajustements4 en vue d'optimaliser le système et les apprentissages visés.
Puis s'est imposée la nécessité d'une refonte du système pour faire face à une multiplication du nombre d'étudiants et un agrandissement consécutif de l'équipe d'enseignants5 : la structure de la classe coopérative à quarante ne nous a plus semblé adaptée à un groupe de quatre-vingt.
Réflexions en équipe, interpellations en Conseil, regards d'un Comité d'accompagnement : grâce aux regards croisés et par tâtonnements successifs, nous réélaborons une architecture un peu différente. Des principes se dégagent progressivement, comme par décantation de nos expérimentations et échanges.
Ce qui nous paraît prioritaire, à travers les diverses formules expérimentées : la loi de la classe comme fondement ultime – d'une part, chacun est tenu de s'impliquer dans le travail et de se former, avec le droit de se tromper, d'autre part, chacun est tenu de respecter l'autre en tant que sujet ; nul ne peut être considéré comme objet et chacun a donc le droit de s'engager ou de marquer son refus. Ce volet éthique est premier dans notre travail – les temps d'apprentissage qui peuvent se diversifier ou se modifier au gré des besoins constatés mais divers équilibres sont à chercher entre des temps horizontaux (en groupe-classe) et verticaux (en groupe hétérogène d'étudiants des trois années), des temps individuels et collectifs, des temps dirigés par les professeurs et gérés par les étudiants, des temps fonctionnels (orientés par la production) et de structuration (orientés par l'apprentissage), enfin des temps disciplinaires et interdisciplinaires.
Les temps d'expression et les temps de décision, et les diverses institutions possibles, sont à instaurer au fur et à mesure de l'année : peu d'institué au début pour permettre davantage d'instituant. Un minimum pour démarrer cette année nous a semblé être un Conseil de Tous pour décider ensemble toutes les trois semaines et un ça va / ça n'va  pas systématique en fin d'activité, pour écouter chacun.
L'évaluation certificative est là pour répondre à une obligation institutionnelle et pas pour aider aux apprentissages ; constituant au contraire une entrave à une dynamique de formation, elle est reportée le plus tard possible dans l'année. L'évaluation en cours d'année est exclusivement formative, avec pour seule fonction d'aider à réorienter les apprentissages et l'enseignement.
4. Au jour d'aujourd'hui, fin décembre 2009
Avant-hier, un groupe d'étudiants a proposé en Conseil d'instaurer un temps régulier de lecture de critiques et félicitations et de demandes de réparation. Un besoin se fait visiblement sentir depuis plusieurs semaines et c'est une large majorité des présents qui s'est montrée favorable à l'institution de ce type de régulation.
Plusieurs autres propositions pressantes devront attendre la rentrée de janvier pour être examinées. Entre autres, plusieurs étudiants demandent d'instituer un moment de négociation de l'emploi du temps et des horaires ; d'autres proposent de créer une responsabilité qui consisterait à veiller au respect « des droits des étudiants » et en particulier à ce que les présidents ne favorisent pas l'expression des professeurs dans les temps de Conseil.
Ça râle, ça rouspète, ça propose, ça cogite, ça s'affronte, bref, ça vit et ça palpite. Ça bouleverse et ça transforme, tant les enseignants qui mettent en place cette formation que les étudiants qui la vivent et se surprennent à être tentés de s'y investir… Ça dérange aussi : surtout certains collègues de l'école qui se demandent ce qu'on fait.
Mais justement, « Qu'est-ce qu'on fout là ? ». Est-ce qu'on veut former plein de futurs Péistes ? Non, ça c'est pour les stages PI. Notre finalité, en travaillant avec la PI, est de former des enseignants rendus sujets, qui auront fait rupture avec les rapports aliénants au professeur et au savoir,6 et qui auront développé des dispositions à rendre sujets leurs propres élèves, dans une relation pédagogique revisitée. Qu'ils utilisent ou non les institutions de la PI ou les techniques Freinet dans leurs classes n'est pas dans nos objectifs.
Et comme moteur de cette affaire, j'ai mentionné, en débutant cet article, des désirs forts chez les professeurs. Pour que ce moteur puissant et indispensable fasse vraiment propulsion dans le réel de nos pratiques quotidiennes, divers carburants ou adjuvants me semblent jouer un rôle essentiel : un accord clair de la Direction de l'école, qui fait confiance et accepte notre organisation spécifique ; un travail régulier entre adultes de l'équipe, qui ont dû s'organiser pour permettre, en plus de l'indispensable gestion commune du quotidien, des temps de réflexion et de remise en question ; un soutien du Ceépi via la formation dans les stages et via la présence de membres des Ceépi belge et isérois dans notre Comité d'accompagnement.
Pour plus de renseignements concernant ce travail dans cet institut de formation, voir le site : http://www.helmo.be/tenterplus
Claudine Kefer, pour l'équipe de Tenter Plus
1 Exception faite d'une petite minorité de cours dont le statut légal de cours multi-option ne permet pas cette intégration (« les cours A » pour les familiers du système belge).
2 Exemples de production : une exposition sur les rapports Nord/Sud visitée par des classes de secondaire de la région ; des animations dans des classes sur l'actualité et la presse ; un atlas géographique nouveau pour des cours sur Liège...
3 Des locaux-classes stables, quelques ordinateurs, des étagères récupérées dans les caves de l'école, des ouvrages de références apportés par les professeurs, trois vieux fauteuils seront un point de départ pour une rupture avec le fonctionnement habituel.
4 Un groupe d'étudiants volontaires s'est mis par exemple à créer un système de ceintures de comportements adaptés à des jeunes de vingt ans, en vue d'améliorer les conditions de travail et de vie collective.
5 L'équipe est composée de onze personnes à temps partiel : F. Budo, G. Collard, J. Cornet, Cl. Kefer, M. Neven, C. Partoune, M. Pirenne, S. Robinet, E. Siquet, M. Thiry, G. Voz.
6 « Nous ne participons pas à l'opération haro sur l'institutrice attardée », disait F. Oury. Il s'agit donc plutôt de souligner ici que le travail de « reprise » à l'aide des outils PI a souvent pour effet de débusquer les allant-de-soi sclérosants.



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