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COLLECTIF EUROPEEN
D'EQUIPES DE PEDAGOGIE INSTITUTIONNELLE
auteur : clairec
date : 29 mai 2012

Dossier Autisme (et place de la psychanalyse et de la psychothérapie institutionnelle)

"La psychanalyse a perdu le combat. Dans leurs recommandations de bonne pratique sur la prise en charge des enfants et adolescents souffrant de troubles envahissants du développement (TED), publiées jeudi 8 mars (lire ici), la Haute Autorité de Santé (HAS) et l'Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (Anesm) estiment impossible de conclure à "la pertinence" des interventions fondées sur les approches psychanalytiques et la psychothérapie institutionnelle, qu'elles considèrent comme "non consensuelles"."

C'est ainsi que Le Monde du 9 mars présente le rapport de la HAS et de l'ANESM sur la prise en charge de ce qu'on appelle plus « autisme », rapport dont Libération avait le 12 février 2012 présenté une version provisoire, provoquant un débat médiatique.

Voici successivement le corps de l'article du Monde du 9 mars, puis celui de Libération, un article du Monde du 22 février 2012,  ainsi que des liens avec des articles permettant de penser cette question.

"Très attendu des professionnels comme des associations de familles, ce rapport, fruit d'un travail de deux ans, a mobilisé 145 experts, et a été complété par une consultation publique à laquelle ont répondu plus de 180 organisations. Définis comme un groupe hétérogène de troubles se caractérisant tous par des altérations des interactions sociales, de la communication et du langage, les TED concernaient en 2009 une personne de moins de 20 ans sur 150, soit entre 92 000 et 107 500 jeunes. Une population à laquelle répond depuis des décennies un manque criant de diagnostic et de structures d'accueil, notamment dans le domaine éducatif.
CHANGEMENT DIPLOMATIQUE
Les recommandations de la HAS et de l'Anesm se déclinent autour d'un axe fort : "La mise en place précoce, par des professionnels formés, d'un projet personnalisé d'interventions adapté et réévalué régulièrement" pour les enfants souffrant de TED. Particulièrement préconisées "si elles sont débutées avant 4 ans et dans les trois mois suivant le diagnostic", ces interventions seront fondées "sur une approche éducative, comportementale et développementale, en respectant des conditions de mise en œuvre ayant fait preuve de leur efficacité: utilisation d'un mode commun de communication et d'interactions avec l'enfant, équipes formées et supervisées, taux d'encadrement d'un adulte pour un enfant, rythme hebdomadaire d'au moins 20-25 heures par semaine".
Pour la première fois en France dans le champ de la pédopsychiatrie, un texte recommande officiellement le recours intensif aux méthodes éducatives et comportementales, dont les résultats prometteurs ont été actés de longue date dans plusieurs pays occidentaux.
Autre point essentiel : l'attention portée à la place et à la singularité de la famille et de l'enfant dans l'accompagnement. Les rapporteurs recommandent par ailleurs aux parents d'être "particulièrement prudents vis-à-vis d'interventions présentées comme permettant de supprimer complètement les manifestations des TED" : aucun traitement ne permet de guérir l'autisme, ni d'en supprimer totalement les troubles.
Si l'approche éducative et comportementale (type ABA ou Teacch), basée sur des apprentissages répétés, fait donc désormais partie des "interventions recommandées", il n'en va pas de même pour les approches psychanalytiques. "L'absence de données sur leur efficacité et la divergence des avis exprimés ne permettent pas de conclure à la pertinence des interventions fondées sur les approches psychanalytiques et la psychothérapie institutionnelle", lit-on au chapitre des "Interventions globales non consensuelles". Un changement diplomatique mais minime au regard de la version de février, qui ajoutait à l'appréciation "non consensuelles" celle de "non recommandées".
"RÉACTIONS EXTRÊMEMENT PASSIONNELLES"
Face au tollé déclenché par cette version provisoire, la HAS a-t-elle tenté de ménager le milieu pédo-psychiatrique en adoucissant son propos ? "Notre objectif n'était pas d'apaiser le jeu. Nous avons pris bonne note des réactions extrêmement passionnelles qui se sont exprimées, mais nous avons décidé de ne pas modifier notre calendrier ni notre procédure", affirme le professeur Jean-Luc Harousseau, président du collège de la HAS. Constatant que "plus de trente ans après leur introduction, ces méthodes n'ont pas fait la preuve ni de leur efficacité ni de leur absence d'efficacité", il estime qu'il est temps que les psychiatres se remettent en question, et "acceptent une évaluation de leurs actions en fonction de critères d'efficacité sur le comportement des enfants, définis par eux et avec la coopération et l'accord des parents".
Reste le packing, technique d'enveloppements humides réservés aux cas d'autisme les plus sévères, contre laquelle la plupart des associations de parents s'élèvent violemment depuis des années. Sans grande surprise, la HAS et l'Anesm, "en l'absence de données relatives à son efficacité ou à sa sécurité", se déclarent "formellement opposées à l'utilisation de cette pratique". A l'exception des essais cliniques autorisés et "respectant la totalité des conditions définies par le Haut Conseil de la santé publique", dont l'un est en cours au CHRU de Lille.

Catherine Vincent


Article de Libération du 13/02/12

Autisme : la psychanalyse à demi désavouée par les autorités
Sophie Verney-Caillat | Journaliste



"La fuite ce lundi dans Libération d'une version non définitive du rapport de la haue autorité de santé (HAS) sur les recommandations de bonne pratique dans la prise en charge de l'autisme fait l'effet d'une bombe dans la « guerre » entre parents et psychanalystes.
A en croire Libé, la HAS s'apprête à écrire, au chapitre « Interventions globales non recommandées ou non consensuelles » de ses recommandations, qui doivent être rendues publiques le 6 mars :
« L'absence de données sur leur efficacité et la divergence des avis exprimés ne permettent pas de conclure à la pertinence des interventions fondées sur les approches psychanalytiques, ni sur la psychothérapie institutionnelle. »
Une révolution potentielle (« la fin de l'inconscient », dit un responsable d'un centre de ressources sur l'autisme, cité par Libération), alors que la prise en charge des autistes est largement dans les mains des psychiatres-psychanalystes en France.
Sauf que le paragraphe sera certainement modifié, a indiqué à l'APM le directeur de la HAS, Dominique Maigne, afin d'être « mieux contextualisé », précisant que « ce qui est non consensuel ne veut pas dire non recommandé ». Un effet du courrier immédiatement envoyé par la Société française de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent (SFPEADA) contre ce virage ?
Un enjeu électoral et commercial
Le gouvernement, qui a déclaré l'autisme grande cause nationale 2012, semble finalement vouloir développer les méthodes comportementales (telles que ABA ou Teacch, très répandues notamment outre-Atlantique et en Belgique), que réclament les parents, et qui sont dispensées par des éducateurs et des psychologues comportementalistes.
Maël, autiste, et son institutrice, le 17 novembre 2011 au Clair Logis, école comportementale de Mons, en Belgique (Audrey Cerdan/Rue89)
« Les psychiatres, tenant de l'approche psychanalytique, craignent une remise en cause de leur pré-carré, car ce sont eux qui ont la mainmise sur le diagnostic des enfants et les structures de prise en charge », remarquent les parents-militants.
« C'est le retour de la haine et de l'idéologie », dénonce Bernard Golse, chef de service en pédopsychiatrie à l'hôpital Necker enfants malades (Paris), joint ce lundi par Rue89. Celui qui avait co-signé une tribune répondant à la mise en cause des psychanalystes dans le film « Le Mur » (dont la réalisatrice Sophie Robert a été condamnée par la justice), ajoute :
« L'autisme est devenu un enjeu électoral et commercial. Je crains que la Haute autorité de santé ne sorte de son rôle et cède au lobbying des associations de parents. »
Vers un caviardage du rapport de la HAS ?

L'enjeu de ces recommandations ? Dire si ce handicap est, pour simplifier, une « psychose infantile » liée à une mauvaise relation à la mère et qui se soigne par la psychanalyse, ou un trouble envahissant du développement (TED), d'origine neurologique et qui peut reculer par des techniques éducatives.
Nombre de parents, comme Laurent Alt (qui avait lancé le débat en témoignant sur Rue89), se demandent si la fuite dans la presse n'est pas organisée afin de faire pression sur les membres du groupe de travail de la HAS, au stade de la relecture finale. Il raconte :
« Nous parents prions tous pour qu'elle ne soit pas caviardée au dernier moment par les psychanalystes. Si ce n'est pas le cas, moi, je sors le champagne car finalement, mon fils aura peut-être un avenir dans ce pays. »
Déjà en 2004, un rapport de l'Inserm sur l'efficacité des psychothérapies, avait été retirée du site du gouvernement après intervention de ce que la psychiatre et directrice de recherche à l'Inserm Monica Zilbovicius avait appelé « la vieille école française de pédopsychiatrie, gardienne d'une classification française de l'autisme qui ne correspond pas aux classifications internationales ».
Pour une prise en charge « multidimensionnelle »
Loin de mettre un point final à cette bagarre, la Haute autorité de santé risque de monter les psychiatres contre l'Etat, et d'attiser la haine des parents contre la psychanalyse. Bernard Golse, de l'hôpital Necker, prévient déjà :
« Si la psychothérapie institutionnelle n'est pas recommandée, ça ne veut pas dire qu'elle est interdite. L'Etat ne peut nous dicter nos modes de pensée. »
Mais, l'air de rien, les psychiatres sont peut-être en train d'évoluer. Le discours de Bernard Golse le laisse penser :
« Nous affirmons la nécessité d'une prise en charge multidimensionnelle qui mêle l'approche psychothérapeutique (psychanalytique ou pas), l'éducatif (technique ABA et autres) et le rééducatif (rééducation psychomotrice et orthophonique).
Mettre un enfant en psychothérapie ce n'est pas chercher des coupables mais chercher à comprendre son monde interne, comment il vit, c'est une science narrative. »
Les parents qui se disent victimes de la psychanalyse estiment que ces psys ont « dilué leur discours car ils se rendent compte que le vent est en train de tourner ». Ils espèrent voir adopter la proposition de loi du député UMP Daniel Fasquelle visant carrément à interdire l'accompagnement psychanalytique des autistes.

Artice du Monde du 22 février 2012

Autisme : c'est la psychiatrie qu'on attaque 22.02.12 | 14:29 | LE MONDE Jean-François Rey, philosophe
Un rapport de la Haute Autorité de santé (HAS) qui doit être rendu public le 6 mars dénonce, dans sa conclusion, la non-pertinence de l'approche psychanalytique et de la psychothérapie institutionnelle dans le traitement de l'autisme, certes, et on risque de ne pas en rester là. C'est l'humanité même de la psychiatrie qui est condamnée. La pratique du "packing", longtemps utilisée dans le traitement des psychoses de l'adulte, repose sur l'enveloppement humide qui permet au patient souffrant d'un morcellement du corps propre de retrouver de l'intérieur son enveloppe corporelle.
Est-ce bien cette pratique qui suscite les cris de haine de la part des associations de parents d'enfants autistes ? Les témoignages de ceux qui en auraient été les bénéficiaires ne seront même pas entendus. Le pédopsychiatre Pierre Delion, dont on ne dira jamais assez la gentillesse et l'esprit d'ouverture, est la victime d'une véritable persécution ; cette campagne de haine n'a cessé de gonfler jusqu'à sa convocation devant le Conseil de l'ordre. Cette douloureuse affaire ne fait qu'augmenter le niveau d'angoisse où nous jette déjà une crise sociale et morale alimentée de toutes parts : si le scientisme gagne à l'aide d'arguments et de pressions non scientifiques, alors le désert croît. Si la psychiatrie n'est plus dans l'homme, on assistera à des pratiques de contention et de répression que l'on signale déjà ici ou là.
La désolation caractéristique du vécu de la psychose est aussi une expérience qui nous guette tous : en allemand, la désolation (Verwüstung) se souvient du désert (Wüste) qu'elle traverse. Aujourd'hui, si on ne pense pas en même temps la psychiatrie et la culture, on accroît la désertification. Ce qui est inédit dans cette affaire, c'est que, pour la première fois, on voit qu'un procès fait à la psychanalyse, discipline qui ne s'est jamais dérobée à la critique, débouche non pas sur une controverse scientifique argumentée mais sur une interdiction disciplinaire réclamée par des lobbies.
Encore une fois, on peut contester la prétention de la psychanalyse à la scientificité, comme l'ont fait au siècle dernier les arguments de Karl Popper, ceux de Georges Politzer ou, plus près de nous, ceux de Gilles Deleuze. Il faut insister là-dessus : la psychanalyse, discipline libérale, ne s'autorisant que d'elle-même, selon les termes de Lacan, indépendante du discours universitaire mais mobilisant toutes les ressources de la science et de la culture, n'a jamais prétendu se dérober au débat scientifique. Cette pression de l'opinion intéressée et pleine de ressentiment est une insulte à la liberté de penser et une menace pour les autres disciplines de la science et de la culture.
A côté des vociférations d'aujourd'hui, la première vague de l'antipsychiatrie des années 1970, qui charriait beaucoup de préjugés et d'analyses sommaires, n'avait pourtant pas la même tonalité de haine et de bêtise. Or, cette haine risque de parvenir à ses fins.
Certes, elle est nourrie de la souffrance de parents d'enfants autistes qui ont le sentiment d'avoir été culpabilisés par des discours peu nuancés. Menée à son paroxysme, la haine vise à soustraire l'enfant souffrant à une pratique qui vise pourtant à le soulager. L'autiste n'est pas un malade, dit la nouvelle antipsychiatrie. La maladie mentale n'existe pas, disait la première antipsychiatrie. De telles affirmations massives résonnent comme un déni de la souffrance et plus encore de l'humanité qui est ou devrait être au coeur de la clinique, si toutefois le mot même de cli clinique a encore un sens pour les censeurs.
Mais les arguments ont entraîné, cette fois-ci, un recours à l'appareil judiciaire et à un traitement disciplinaire là où un débat argumenté et scientifique fait défaut. Il convient donc d'informer : il existe des lieux de soin, des praticiens, qui résistent à cette dérive. Ils y résistent d'autant mieux qu'ils savent dénouer l'intrigue du scientisme et du judiciaire bâtie autour de l'autisme, mais dépassant de loin la seule question de l'autisme. Il est urgent d'avoir recours à une défense et illustration d'une psychiatrie née pendant et après la guerre qui visait à supprimer l'enfermement asilaire : soigner l'hôpital avant de soigner les malades, selon la formule du psychiatre allemand Hermann Simon, reprise par François Tosquelles.
Quand l'hôpital va mieux, certains troubles disparaissent. La psychothérapie institutionnelle qu'on dénonce aujourd'hui a une histoire à faire valoir. Je me contenterai d'en rappeler quelques principes simples. L'institution doit faire du sur-mesure : ce n'est pas au patient de s'adapter au milieu. Pour cela, le concept analytique de "transfert" est précieux. Le transfert d'un patient, schizophrène ou non, sur l'institution, que Jean Oury appelle "transfert dissocié", consiste à organiser la "rencontre" entre le patient et d'autres personnes évoluant dans les mêmes lieux : soignants, personnels de service, autres patients. Le mot même de "rencontre" est la clé de cette pratique. Pour qu'il y ait rencontre, il faut qu'il y ait liberté de circuler. Mais davantage encore, il faut que les lieux et les personnes soient assez distincts : distinguer les sujets, distinguer les lieux pour qu'ils deviennent des sites de parole, distinguer les moments contre un temps homogène et vide, distinguer des groupes et des sous-groupes dans un réseau d'activités. En un mot, résister à la tyrannie de l'homogène, face lisse du"monde administré", selon la formule de Theodor W. Adorno.
Une telle pratique de soin de l'esprit humain s'est nourrie de l'apport de la psychanalyse, sans exclusive. Mais surtout, hors du débat scientifique dont pourtant on nous prive, il faut dire l'ancrage de ce traitement."L'homme est en situation dans la psychiatrie comme la psychiatrie est en situation dans l'homme." Ces mots du philosophe Henri Maldiney ont été illustrés dans des lieux aussi divers que la clinique de Ludwig Binswanger à Zurich, l'hôpital de Saint-Alban (Lozère) pendant la guerre ou, aujourd'hui encore, à la clinique de La Borde (Loir-et-Cher).
Va-t-on assécher l'élément humain dans lequel ces institutions baignent ? L'obsession sécuritaire présentant le patient schizophrène comme un danger, jointe au recours à la justice, va-t-elle avoir raison de ces pratiques toujours en recherche ? Nous ne pouvons nous y résoudre. Le désert croît et pourtant rien n'est joué.

Jean-François Rey est l'auteur de "La Mesure de l'homme : l'idée d'humanité dans la philosophie d'Emmanuel Levinas"(Michalon, 2001) et d'"Autour de l'enfant : questions aux professionnels" (L'Harmattan, 222 p.). 


Lettre ouverte de Pierre Délion en 2009
http://www.balat.fr/Pierre-DELION-LETTRE-OUVERTE.html

On pourra se reporter aussi à la conférence de Pierre Délion au Collège international de philosophie le 19 janvier 2012. (fichier pdf de 38 pages envoyé sur demande car la conférence n'est pas disponible actuellement sur le site du collège international de philosophie).

On pourra aussi consulter:

- le site Œdipe www.oedipe.org/fr/autisme 

- le site du Collectif des 39 www.collectifpsychiatrie.fr/?p=3568



 




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