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COLLECTIF EUROPEEN
D'EQUIPES DE PEDAGOGIE INSTITUTIONNELLE
auteur : G. Mangel
date : 1990

Annexes : Contenu d'une réunion d'équipe


Le récit fait allusion à plusieurs documents dont nous reproduisons ici quelques exemples avec les commentaires utiles à une certaine compréhension. Le lecteur découvrira successivement le secrétariat d'une réunion de l'équipe tiré des nombreux cahiers remplis de notes au cours de ces sept ans et choisi pour sa représentativité, un commentaire de l'auteur au sujet de ce secrétariat, le premier projet d'organisation du collège, et pour finir, de larges extraits du projet final rédigé par des représentants d'enseignants de primaire, secondaire ainsi que des travailleurs sociaux du quartier.

CONTENU D'UNE RÉUNION D'EQUIPE.

En date du 6 mars 1978, le cahier de secrétariat porte un compte rendu dont je donne ici le contenu suivi d'un commentaire explicatif. Ce dernier est rendu évidemment nécessaire par le caractère allusif des notes prises dont certains passages ont d'ailleurs été difficilement déchiffrables.

Présidente : Anne-Marie Secrétaire : Mireille Présents : Gilbert, Jean, Anne-Marie, Michèle F., Michèle B, Anne, Mireille.

Ordre du jour :

* 1)Tour de table. * 2)Cas. * 3)Article de presse.

1) TOUR DE TABLE :

Anne-Marie : Personne n'a apporté les documents de ce qui se fait dans sa classe comme on l'avait dit la dernière fois !

JEAN : Je suis furieux : les élèves ne foutent rien. J'ai l'impression de bricoler pour des cornichons. Leurs carnets de correspondance ne sont jamais signés.

Président : Ceux qui ont la classe veilleront à ce problème de signature. Continue ! Joël B. est dans ce cas, et il m'a rit au nez quand je le lui ai demandé son carnet !

Président : on en parlera au point 2. Ensuite ? J'ai vu un montage diapo réalisé par un groupe, chouette, un peu naïf. Mais tout a disparu. C'est un des élèves du groupe qui a tout emporté chez lui. Pas moyen de savoir qui, encore moins de les récupérer. On a essayé de les refaire sur calque : rien ne passe dans l'appareil..

GILBERT : En positif, j'ai essayé une série de tests en 3ème, dans la série "Expériences et Observations". Les élèves s'auto-corrigent. Je vous ai apporté la liste ici. En négatif, j'ai un problème en cinquième avec Joël...

PRÉSIDENT : tout à l'heure !.

ANNE-MARIE : Je viens d'envoyer G. (élève de sixième) à plu sieurs reprises chez plusieurs d'entre vous. Quand je suis en forme, ils ne font pas le cirque, mais sinon... Les thèmes qu'ils ont choisis sont abandonnés. Ils semblent attirés par la Science Fiction. A part ça, ça va à peu près.

MICHEL F.:Je viens de voir passer une circulaire dans la classe, avec une proposition de voyage en Guyane : quand on voit ce que ça coûte, je me demande pour qui et pourquoi ça passe dans nos classes ! A part cela, les élèves ne foutent rien et j'ai l'impression que c'est pareil pour moi : l'horreur ! Qui est-ce qui a écrit "le droit à la paresse" ?...

MICHEL B. : J'en ai marre, je suis de mauvaise humeur. Je vais faire un malheur. Je ne sais pas pourquoi. Les élèves de quatrième aménagée dorment sur leurs cahiers. Une seule de la classe fait preuve de bonne volonté. J'en arrive à ma de mander lesquels sont les plus bêtes des quatrième un ou deux. En troisième c'est la chevauchée fantastique et il y en a un que j'ai vraiment envie de fusiller.

ANNE : J'ai l'impression de ne pas faire grand-chose. Mais je suis contente de venir ici. En cinquième 1, il y a un petit Algérien qui doit être placé. Il est rejeté par tous. Il a saccagé les expos des autres et plusieurs livres personnels. Il a été exclu du cours. Le problème n'est pas réglé. On dirait qu'il s'ingénie à se faire rejeter.

Président : voir cas dans point suivant

MIREILLE : J'ai des problèmes avec la quatrième aménagée. Ils travaillent par équipes sur le thème du sport. Il y a opposition systématique des filles. Alia se caresse sans arrêt, Catherine fait la bête : je finis par penser qu'elle l'est. Quant à Maria, elle m'énerve. Pourtant, à l'écrit, Alia, ce serait pas mal...

2) CAS :

Il y a deux cas évoqués dans le tour de table, Joël et Rachid.

Joël est signalé par Jean, Gilbert, Michèle F.

GILBERT : On essuie les plâtres avec lui : il fait preuve de mauvaise foi. C'est un comédien extraordinaire. Il fait de l'obstruction systématique à ce que je propose.

MICHEL F. : La mère est seule avec trois enfants. Elle sou tient son fils de façon systématique. Elle est très indulgente.

JEAN : Chez moi, son carnet n'est jamais signé et il méprise mes remarques. Il est insolent.

ANNE : Son attitude a changé brusquement en fin d'année : il est devenu le plus gentil de la famille (j'ai eu également ses soeurs). C'est lui-même qui m'avait promis de changer et il l'a fait.

GILBERT : On pourrait lui donner un franc à chaque fois qu 'il se donne en spectacle...

ANNE-MARIE : J'ai sa soeur en classe et j'ai parlé avec la mère. Elle est très nerveuse, malade. Je veux bien prendre Joël quand il déconne avec vous : envoyez-le moi.

Rachid est signalé par Anne qui ne le supporte plus. JEAN : Il est sage avec les profs masculins. C'est peut-être tout simplement une question culturelle : un petit arabe qui n'accepte pas qu'une femme lui donne des ordres.

GILBERT : je propose que nous le prenions de façon plus organisée que les cas épisodiques : faisons un planning des heures pendant lesquelles Anne veut nous l'envoyer et de qui va l'accueillir.

Président : Oppositions ? (Le planning suit)

3) ARTICLE DE PRESSE.

Information : un article paru dans le ... (journal local) présente le collège de manière qui déplaît à plusieurs membres de l'équipe.

Tour de table :

* Répondre si nous avons des arguments susceptibles d'intéresser les lecteurs. * Il comporte des affirmations imbéciles : les élèves sont "extrêmement violents", leur parents "délinquants" * Le Principal a parlé de l'article en réunion. * Il n'est question que du C.D.I. comme lieu pédagogique de recours. * Les effectifs cités sont inexacts.

Décision :

Gilbert prépare une réponse et la fait circuler dans l'équipe avant de l'envoyer.

PRÉCISION ET REMARQUES :

Les élèves dont il est question au cours de ces réunions sont connus par la plupart des membres de l'équipe. Nous les avons nous-mêmes en classe, ou bien nous les avons connus les années précédentes. Chacun a une perception différente des caractères et des réactions de ceux qui sont présentés comme perturbateurs. Certains détails sont connus d'un d'entre nous et servent à relativiser ; ici, dire du mal des élèves, laisser parler notre agressivité à l'égard de ceux qui nous ennuient particulièrement ne porte pas aux mêmes conséquences que si cela se produisait en réunion administrative de conseil de classe. Cette fonction nécessaire est trop souvent confondue avec l'évaluation et les états d'âme des enseignants risquent alors d'interférer avec leur appréciation du niveau d'un élève. Nous avons ici une antidote à ce danger.

Lors du tour de table, les plaintes de chacun sont entendues, le plus souvent sans commentaires. En tous cas, si commentaires il y a, le secrétariat n'en fait pas mention. Chacun, ayant pu dire ses préoccupations sans risque d'être jugé s'en délivre en partie. Les solutions ne sont pas évidentes et beaucoup des problèmes évoqués ne trouvent pas de dénouement dans la réunion. Le fait de les évoquer peut aider celui ou celle qui les a exprimés à réagir positivement par la suite. Ainsi, le fait que la signature man que dans les carnets de correspondance trouve un écho qui sera repris grâce au président de séance. La disparition des diapositives, elle, ne donne pas lieu à commentaires. Peut-être le simple fait de l'avoir évoqué a-t-il suffi à l'enseignant concerné pour trouver une solution, ou pour en faire son deuil ? Les disparitions et les chapardages sont assez fréquents en classe et leur traitement n'est pas simple. Bien souvent, l'objet qui disparaît a une signification particulière en rapport avec la vie de la classe et le décryptage du sens de l'événement dénoue la crise plus sûrement que la découverte du ou des coupables. Entendre ce qui se dit à travers un tel acte, déplacer opportunément vers un terrain de parole ce qui est avant tout une question d'amour ou de haine, différer l'échange verbal pour qu'il se produise avec la civilité qui lui permet d'être compris, tout cela n'est possible que si la classe comporte des structures variées, et si l'adulte n'est pas lui-même trop étroitement pris dans les filets de l'angoisse suscitée par l'événement.

Remarquons enfin à ce sujet que le groupe ne fournit pas d'analyse et ne donne pas de diagnostic : ce serait un défaut grave dans lequel il est facile de tomber avec ce type de coopération. D'autant plus que c'est une demande constante des personnes qui éprouvent des difficultés : qu 'on leur dise enfin pourquoi ils vont mal, et comment faire pour aller mieux ! Si j'éprouve ici l'absolue nécessité de faire remarquer que ce n'est pas ainsi que travaillait cet te équipe, et que ce serait néfaste de fonctionner sur ce mode, c'est essentiellement parce la plupart des groupes d'échanges sur les pratiques sont très demandeurs de ce genre d'analyse. Seul le refus de jouer ce jeu peut aider chacun des participants d'un tel groupe à trouver lui-même ses solutions. Bien entendu, ceci n'exclut nullement l'aide mutuelle qui s'exprime d'ailleurs assez clairement au cours de cette réunion.

L'accueil d'un élève extérieur à la classe est facilité par le fait que les élèves travaillent le plus souvent en autonomie avec des contrats individuels ou d'équipe. La classe de l'élève Joël est concernée cette année par une correspondance avec une classe d'un collège de Bretagne. Les échanges concernent à la fois le français et les sciences naturelles. Les décisions prises en Conseil dans sa classe sont applicables en classe de français, sciences, anglais, mathématique. On pourrait se demander ce que de viendrait un élève tel que lui dans une structure qui lais serait les enseignants isolés face à ses attitudes pénibles. Le cas de Rachid est à la fois plus simple et plus radical. Si nous n'avions pas ce recours, il serait rapide ment l'objet de sanctions de plus en plus graves. Ici, il est accueilli et les réunions suivantes ne font plus état de ses difficultés à se faire accepter, ce qui tend à prou ver l'efficacité de la méthode.

L'article dans le journal local est ressenti par les membres de l'équipe comme une agression. Notre travail n'y est pas mentionné et nous entendons marquer, en répondant, une présence et une vigilance qui signifie avant tout que nous avons la volonté de nous faire respecter. De plus, nous ne sommes pas du tout indifférents à l'image que de tels articles peuvent donner du collège. Notre investisse ment affectif s'y révèle fortement, dans une sorte de susceptibilité qui peut apparaître après coup excessive, mais qui décèle également la passion sous-jacente à nos actions.




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